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M. Achille Fould, organe de la haute banque, prononça d’autorité un veto irrésistible. La question monétaire fat, non pas morte, mais enterrée vivante. On resta dans les données de 1865, et ainsi fut définitivement consacrée, pour quinze ans et sans clause de liquidation en cas de rupture, cette dangereuse Union latine, qui a déjà coûté bien des millions à la France ; — Et la France n’en est pas quitte.

A partir de 1866, le métal blanc, qui avait pour ainsi dire disparu, recommence à circuler, bien faiblement la première année, mais en progression soutenue par la suite. Ce n’est pas à l’affaiblissement des pièces divisionnaires, encore moins aux mérites de l’Union latine, qu’il faut attribuer ce retour. Les contrées argentifères du haut Mexique étaient depuis plusieurs années au pouvoir des États-Unis; et l’exploitation, retardée par la guerre civile, allait commencer dans des conditions que la spéculation européenne n’ignorait pas. A part la prodigieuse richesse du sol que la science avait dévoilée, la découverte des mines de mercure en Californie, en abaissant le prix du kilogramme de 8 à 2 francs, faisait tomber le monopole du grand financier détenteur des mines d’Almaden. Une production plus abondante de l’argent était probable, et les bullionnistes de Londres auraient manqué de prudence s’ils n’avaient pas laissé faiblir les cours du marché. Les importations reprirent la route du 15 1/2. En 1866, la Banque de France acheta des lingots pour 814,500,000 francs, qui lui coûtèrent 11,215,000 francs; ces arrivages, à coup sûr, n’étaient pas uniquement composés de lingots d’or. Les hôtels des monnaies, où la fabrication des écus était insignifiante depuis douze ans, en recommencèrent la frappe. L’Italie enfin, au lendemain du jour où elle venait d’entrer dans l’Union latine, était obligée de se mettre au régime du cours forcé ; soutenant sa circulation intérieure avec le papier, elle déversait sur la France avec grand bénéfice toutes ses pièces de 5 francs, et même sa monnaie divisionnaire. Ces causes diverses, agissant simultanément, avaient reconstitué en trois ans une provision d’argent moitié moindre qu’autrefois, mais plus que suffisante avec l’énorme quantité d’or qui s’était amassée chez nous. A la fin de 1869, les meilleures autorités du monde financier étaient d’accord pour évaluer la somme du métal argent existant en France, tant à la Banque que chez les particuliers, à 1 milliard de francs, y compris les pièces de l’Union latine. Les retranchemens à opérer de ce chef réduisaient à 940 millions le montant des pièces nationales[1], les seules dont j’essaie d’établir le compte en ce moment.

  1. On évaluait déjà à 6 pour 100 la quantité des pièces de l’Union latine introduites en France.