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indestructibles, dont le pire est la vanité. À l’époque où j’étudiais les organes de Paris, j’eus à m’occuper d’une maladie sociale particulière dont je n’ai point à prononcer le nom, et j’allai visiter une maison de filles repenties ou soi-disant telles. Une d’elles, âgée d’environ dix-huit ans, qui n’était point laide, malgré son béguin de laine noire et sa blouse de siamoise, accotée contre le mur du préau, pleurait et maugréait en levant les épaules avec colère. Je m’approchai d’elle et lui demandai la cause de son chagrin. Elle me répondit d’un ton bourru et en langage du ruisseau : « C’est cette chienne de sœur Rosalie qui m’a monté une gamme et collé un suif, je ne sais pourquoi ; elle m’a prise en grippe parce que j’ai fait la noce et qu’elle s’embête ici à gratter son chapelet ; elle est vieille, elle est laide ; moi je suis jolie et je suis jeune, c’est ça qu’elle ne peut pas me pardonner ; je la connais, sa morale, c’est de la jalousie ; mais patience, je décamperai un de ces matins, et l’on ne me reverra pas de sitôt. » Avec celle-là, Satan n’aura point été dupé, elle lui appartenait.

Toutes ne sont point ainsi, heureusement, car il serait inutile d’essayer d’amender des créatures qui n’attendent que le moment de retourner au vice. À la maison des diaconesses, de sérieux résultats ont été obtenus, et c’est dans des proportions appréciables que l’on a pu rendre à la probité et au respect de soi-même de pauvres enfans qui s’étaient égarées sans trop savoir ce qu’elles faisaient. C’est en développant chez elles, autant que possible, le sentiment de leur propre responsabilité, que l’on parvient à leur faire comprendre que la vie n’est pas exclusivement faite pour s’amuser, et que la rectitude de la conduite est plus avantageuse que le dévergondage. Notions simples et d’éclatante vérité, mais que l’on ne s’approprie cependant qu’à la condition d’avoir un naturel doué de quelque intelligence et suffisamment paisible. Si les enfans auxquelles on s’adresse et sur lesquelles on tente d’agir par le raisonnement, la discipline et la bonté, étaient de facultés analogues, il est certain qu’une seule règle suffirait à toutes ; mais il ne peut en être ainsi. Les caractères sont multiples, avec des dessous parfois difficiles à pénétrer ; les aptitudes sont diverses, et les exigences de la physiologie ne se ressemblent pas. Il en résulte que si le régime est uniforme, comme il convient dans une sorte d’établissement correctionnel, le système de direction morale doit varier selon les individus ; telle pensionnaire qui regimbera contre la sévérité ouvrira l’oreille aux bonnes paroles, et telle autre qui se rira de l’indulgence ne se soumettra qu’à des mesures rigoureuses. Chacune de ces fillettes exige donc une étude préalable et un mode spécial de redressement, sans quoi l’on s’exposerait à perdre le bénéfice