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du « côté des hommes ; » on l’enlève de sa place et on l’assoit du « côté des dames : » le pauvre morveux en reçoit un tel choc d’humiliation qu’il en reste atterré. S’il veut regimber, on lui dit : « Taisez-vous, mademoiselle ; » et il se reconnaît vaincu. La diaconesse que j’ai vue à l’œuvre dirige l’école depuis trente-sept ans. Elle a enseigné la lecture aux enfans des enfans dont elle avait dégrossi les pères. Elle est connue dans le quartier et vénérée de ces robustes ouvriers, qui lui gardent bonne gratitude des soins qu’ils en ont reçus. Atteinte par l’âge aujourd’hui, d’apparence délicate, faisant les leçons avec un filet de voix dont la faiblesse commande l’attention, elle est active encore et passionnée pour les petiots à qui elle ouvre, habilement, ingénieusement, les portes de la vie intellectuelle. C’est une bonne bergère ; le petit troupeau qu’elle guide la suit avec empressement ; et, au bruit de sa « claquette, » chacun obéit.

L’école maternelle n’est point une superfétation à la maison des diaconesses, mais ce n’en est qu’une annexe qui s’est fondée pour attirer les enfans d’un faubourg populeux et les soustraire, dès les premières années, à l’existence de la rue, stérile quand elle n’est point funeste. L’œuvre à laquelle on se consacre de préférence et avec un dévoûment qui n’est pas toujours récompensé est de visée plus haute et de salut plus sérieux. Là, et bien avant la création de l’école industrielle dont j’ai parlé récemment[1], on s’est ingénié à neutraliser le mal dès son début même, à combattre les mauvais instincts naturels et à arracher l’enfance et l’adolescence, prématurément contaminées, aux dangers qui lui rendraient la vie honteuse et insupportable. Labeur décevant, labeur ingrat, où parfois les meilleures volontés succombent ; car, si l’on n’est pas aidé par l’énergie même de celles que l’on veut sauver, on ne sauve personne. Or l’énergie est une qualité naturelle, on peut la développer et la féconder lorsqu’elle existe ; mais où elle n’existe pas, comment la faire naître, et si par bonheur on y a réussi, comment la maintenir intacte et assez résistante pour lutter contre les périls dont la jeunesse de la femme est assaillie de toutes parts ? Souvent l’on est trompé, car la femme excelle à feindre ; patiente et d’apparence soumise, elle jouera son rôle pendant longtemps sans jamais se démentir ; sa dissimulation fait sa force, rien ne lui coûte pour atteindre le but qu’elle s’est proposé. Elle représente « le sexe faible, » mais elle est rarement vaincue dans son combat perpétuel « contre ce fier, ce terrible et pourtant un peu nigaud de sexe masculin ; » — C’est le mot de Marceline dans le Mariage de Figaro.

  1. Voyez la Revue du 1er juin.