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des ombrages, des rivalités de diplomatie. Il pouvait sans doute compter sur la Prusse, depuis qu’il avait réussi à l’entraîner, à la compromettre dans son œuvre de réaction allemande, et que le roi Frédéric-Guillaume III, dans les entrevues de Téplitz, s’était livré tout entier à ses conseils, à sa direction. « Téplitz n’a pas été perdu et Carlsbad a tout sauvé, » écrivait-il en homme sûr désormais de l’appui de la Prusse. Il rencontrait plus de résistance à Londres. L’Angleterre, conduite encore par lord Castlereagh, — qui allait bientôt se donner la mort et avoir pour successeur le brillant Canning, — L’Angleterre ne se séparait pas des cours du continent tant qu’il ne s’agissait que de maintenir ou de défendre, fût-ce par les armes, les transactions de 1815 ; la diplomatie anglaise, retenue par le parlement, par l’opinion, se croyait beaucoup moins libre de se prêter à des délibérations nouvelles, à de nouveaux engagemens, dès qu’on lui parlait de tourner l’alliance contre les mouvemens intérieurs des peuples, même contre des révolutions si elles éclataient. L’Angleterre ne serait sûrement pas un secours et elle pouvait être un embarras. Une autre difficulté plus sérieuse encore était dans la politique flottante et insaisissable de l’empereur Alexandre, qui alliait à la prétention d’être le premier protecteur de la paix et de l’ordre en Europe la chimère d’un libéralisme vague, compliqué de mysticisme. Les deux tendances se trouvaient représentées auprès du tsar par deux de ses ministres, qui, par une combinaison bizarre, avaient également sa confiance : l’un, M. de Nesselrode, homme de sens et de mesure, destiné à devenir bientôt le chancelier d’un nouveau règne, mais pour le moment timide et effacé; l’autre, M. Capo d’Istria, esprit plus souple et plus brillant que sûr, Corfiote de naissance, élevé dans la faveur du prince depuis 1815 pour ses affinités helléniques et pour son cosmopolitisme libéral. Que voulait réellement Alexandre? On ne le savait pas toujours; il ne le savait peut-être pas lui-même. Il tenait à son rôle de pontife de la sainte-alliance, et il était en même temps ou il paraissait être l’espoir des révolutionnaires de tous les pays. Tandis que, dans ses lettres et ses conversations, il protestait de sa fidélité à l’esprit de 1815, de son amitié inviolable pour l’empereur François, son ministre, M. Capo d’Istria, par sa diplomatie ambiguë, assez favorable à tous les mouvemens libéraux, réveillait de temps à autre tous les doutes sur sa politique réelle. M. de Metternich s’en désolait : il avait affaire à un empereur qu’il ne savait comment saisir et à un ministre dont il parlait quelquefois avec une impatience mêlée de dédain, en appelant ses élucubrations diplomatiques une « apocalypse. »

Un instant, il est vrai, au congrès d’Aix-la-Chapelle, dès 1818,