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la Prusse qui, renouant les traditions de Frédéric II contre l’Autriche, de 1813 contre la France, a marché à son tour à la conquête de la prépotence, et comme il y a eu un jour le chancelier tout-puissant de Vienne, il y a eu depuis le tout-puissant chancelier de Berlin. — On n’en était pas là il y a soixante-six ans, à cette époque où M. de Metternich, entouré de tous les représentans germaniques, inaugurait cette politique de domination savante et de compression méthodique dont la date de Carlsbad marque l’avènement, qui allait, pour des années, régner non-seulement en Allemagne, mais en Europe.


III.

Étendez votre regard, en effet; ce qui se passe en Allemagne vers 1819-1820 n’est visiblement qu’un épisode d’un mouvement plus vaste qui embrasse le continent, et ce que fait M. de Metternich dans sa politique allemande, il le fait avec autant d’esprit de suite que d’habileté dans sa politique européenne. Il est l’âme de la sainte-alliance, non de la sainte-alliance mystique et chimérique, de «l’acte chrétien » de l’empereur Alexandre, mais d’une sainte-alliance plus simple, plus pratique, organisée, incessamment renouée contre tout ce qui est révolution. Il est le lien des volontés indécises, le surveillant et le médiateur des cabinets prompts à revenir à leurs intérêts ou à leurs ambitions. Il y a un mot curieux et fin de cet autre oracle du temps, M. de Talleyrand : « l’Autriche est la chambre des pairs de l’Europe ; tant qu’elle ne sera pas dissoute, elle contiendra les communes. » M. de Metternich est et prétend bien rester tant qu’il pourra le chef, le guide et au besoin l’agent exécutif de cette « chambre des pairs » européenne.

Rien, sans doute, ne semblait au premier abord menaçant pour l’ordre territorial et politique de 1815 ; tout révélait le travail intime des peuples, l’impatience de changement et de nouveauté, dont les mouvemens constitutionnels de l’Allemagne n’étaient qu’une des expressions, qui gagnait par degrés tous les pays sous les yeux des gouvernemens déconcertés. La France, bien que pacifiée sous le régime des Bourbons et ralliée officiellement au système européen, restait le grand foyer suspect. On ne pouvait lui refuser, en 1818, la libération de son territoire, négociée à Aix-la-Chapelle par le loyal duc de Richelieu, qui répondait de son pays; on ne cessait de la redouter pour ses agitations renaissantes, pour la contagion de ses idées et de ses exemples ; on s’inquiétait de l’état moral d’un pays où les instincts révolutionnaires, prompts à se réveiller, se traduisaient par l’élection d’un régicide en 1819,