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a même essayé quelquefois d’en profiter en faisant de son égoïsme insulaire une politique ; elle n’en est pas peut-être plus avancée, elle n’a pas moins deux questions qui pèsent sur son gouvernement, sur ses partis.

Elle a d’abord, elle a toujours l’Irlande, l’éternelle obsession ; et le cri des misères irlandaises, il faut l’avouer, est un triste accompagnement des fêtes du jubilé. L’autre jour encore, tandis que les réjouissances étaient partout, pendant que les illuminations s’allumaient à Londres et dans toutes les villes de l’Angleterre, ces exécutions, connues sous le nom d’évictions, continuaient sans interruption en Irlande. De malheureux paysans, chassés de leurs maisons par la force, étaient jetés sur les chemins sans asile, sans ressources, presque sans vêtemens. Les rigueurs de la répression ne cessaient de se déployer, au point d’embarrasser le gouvernement lui-même et de provoquer dans la chambre haute une interpellation de lord Carnarvon demandant quand se termineraient ces déplorables événemens ; on n’a pas pu lui répondre ! C’est en vain que le ministère veut à tout prix en finir, et a demandé, il y a quelques jours, à la chambre des communes un vote sommaire écartant tous les amendemens au bill de « coercition. » Il a obtenu son vote, il n’a pas cependant encore son bill, et on en est déjà à se demander ce qu’il fera de cette arme dangereuse et probablement inefficace contre une population que rien n’a pu dompter jusqu’ici. Le bruit des fêtes peut couvrir pour un jour la voix des affamés et des révoltés irlandais, il ne supprime pas le douloureux problème. — D’un autre côté, l’Angleterre a encore à résoudre la question égyptienne, qui ne laisse pas d’avoir son importance. Elle a récemment obtenu à Constantinople, il est vrai, une convention ou un projet de convention qui la ferait entrer en partage de la suzeraineté en Égypte ; mais il paraît désormais à peu prés certain que ce projet ne sera pas accepté sans de sérieuses modifications par quelques-unes des principales puissances, et il devient même douteux qu’il soit définitivement ratifié par le sultan. Qu’à cela ne tienne, disent déjà au-delà de la Manche ceux qui ne reculeraient pas devant la conquête de l’Égypte : la situation demeurera ce qu’elle est, l’Angleterre est sur le Nil, elle y restera ! Ce n’est point évidemment une solution, c’est un expédient destiné à peser sur la diplomatie anglaise elle-même, et, en y réfléchissant, les politiques sérieux de Londres ne peuvent se dissimuler qu’une partie des embarras d’aujourd’hui tient à la malheureuse scission qui s’est accomplie entre la France et l’Angleterre. C’est sans doute la faute du ministère français, qui a décidé, il y a quelques années, notre retraite de l’Egypte, et qui, en laissant la place libre aux Anglais, leur a créé une dangereuse tentation. La difficulté est de sortir de là, et les gouvernemens des deux pays, au lieu