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aujourd’hui, on vient de célébrer le cinquantième anniversaire de son avènement au trône de la Grande-Bretagne.

Oui, en effet, cinquante ans sont passés depuis ce jour du 21 juin 1837 où, dans le palais de Kensington, on avait à réveiller la princesse Victoria, fille de la duchesse de Kent, pour la saluer du nom de reine et de majesté. Le roi Guillaume IV venait de mourir dans la nuit. À peine avait-il expiré, l’archevêque de Canterbury et le grand-chambellan marquis de Conyngham avaient quitté Windsor pour se rendre à Kensington, et les deux dignitaires porteurs d’une couronne étaient obligés de frapper à coups redoublés à la grille du palais pour se faire ouvrir à cinq heures du matin. Une fois entrés, ils avaient presque à faire violence à une dame de service qui ne voulait pas troubler le sommeil de sa jeune maîtresse. Il fallut parlementer, invoquer l’intérêt de l’état, et ce n’est qu’après quelques instans que la jeune princesse apparaissait, enveloppée d’un long peignoir blanc, les cheveux encore en désordre, comme une jeune fille arrachée au sommeil. Elle s’était endormie princesse royale, elle se réveillait reine ! Peu après, elle recevait la visite du premier ministre, lord Melbourne, homme aimable et libéral, pour qui elle a gardé une préférence tant qu’il a vécu, et dès la matinée, elle présidait le conseil privé, qu’elle charmait par sa bonne grâce, par sa dignité simple et aisée. C’était la jeunesse arrivant au trône dans l’éclat de la dix-huitième année ! La reine Victoria a régné depuis ce jour, elle règne encore ; elle a traversé ce demi-siècle non sans avoir eu ses épreuves au courant de la vie, épreuves privées et épreuves publiques, mais sans avoir été exposée à ces crises violentes qui s’appellent des révolutions, sans avoir été menacée ou méconnue dans son autorité, sans cesser d’être respectée comme souveraine et comme femme. Peu après son avènement, elle avait trouvé le plus sûr, le plus sérieux, le plus intelligent des conseillers dans le prince qu’elle avait associé à sa vie, dans le prince Albert, qui, pendant vingt-deux ans, a été son guide aussi discret qu’habile, qui l’a aidée à passer à travers tous les écueils, et aujourd’hui demeurée seule après une si longue carrière, devenue la doyenne des souverains, au moins par la durée du règne, elle est respectée et saluée comme à son couronnement. Son jubilé est une fête populaire, et on pourrait dire une fête européenne. L’autre jour, lorsqu’elle s’est rendue à l’abbaye de Westminster, elle a pu voir des représentans de toutes les dynasties, le roi de Saxe, le roi des Belges, le roi de Grèce, un grand-duc de Russie, l’archiduc héritier d’Autriche, des princes italiens, suédois, espagnols, portugais, même des princes indiens aux costumes éclatans, et tout cela défilant au milieu d’une population qui n’a cessé d’accompagner de ses acclamations la souveraine sur son passage.

Ce qu’il y a de plus caractéristique dans ces fêtes anglaises d’hier, c’est bien certainement la spontanéité du sentiment public. Il y a des