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« n’avoir jamais été un rêveur, » avait laissé passer les systèmes et les chimères. Il avait trop de sagacité et de sens pratique pour se prêter à la résurrection de l’ancienne dignité impériale, d’une dignité qui, si elle était héréditaire au profit de l’Autriche, ne pouvait plus être qu’un artifice suranné, et, si elle devenait élective, passerait un jour ou l’autre à la Prusse. Il n’avait, d’un autre côté, que du dédain pour la teutomanie révolutionnaire des Gœrres et des Jahn, pour les rêves d’un Stein, pour tous les projets de constitution et de représentation nationale. Il avait cru trancher ou dénouer la question par cette combinaison assez hybride d’une confédération qui créait l’illusion de l’unité en conservant les souverainetés particulières, qui, dans sa pensée et selon son langage, avait pour objet de « former au centre de l’Europe une grande union défensive pour maintenir la paix, » la tranquillité extérieure et intérieure. C’était un assemblage d’états indépendans, divisés par les intérêts, par les jalousies, liés par un acte fédératif qui, à vrai dire, dans sa première ébauche, laissait tout incertain, et les rapports des états entre eux et les pouvoirs de la diète placée à Francfort. En réalité, tout dépendait de l’esprit qui vivifierait cette organisation, et c’est là que M. de Metternich se retrouvait, non plus comme à Dresde en face du génie de la guerre, mais dans une situation nouvelle où il avait à manier, avec son art mêlé de souplesse et de ténacité, les élémens les plus incohérens.

Il y avait deux choses dans sa politique. Il y avait la défiance ou la crainte de tout ce qui était révolutionnaire, « jacobin » ou libéral, de tout ce qui pouvait troubler l’ordre des sociétés. Il y avait aussi ce qu’on pourrait appeler le sentiment impérial, le sentiment d’un état qui, après avoir été le saint-empire et avoir cessé de l’être, après avoir même refusé de le redevenir, gardait les traditions, les velléités, l’orgueil de la vieille suprématie. Il avait abdiqué pour l’Autriche la couronne des empereurs d’Allemagne; il n’abdiquait pas le droit moral de prépondérance. Il entendait bien rester le guide et le régulateur de cette confédération qu’il avait contribué à mettre au monde ; il voulait avoir la réalité sans le mot et sans les embarras d’un pouvoir d’ostentation. Il avouait et résumait d’ailleurs lui-même sa secrète pensée dès les premiers jours, dans ses rapports confidentiels à l’empereur François : « Il faut amener l’Allemagne à admettre des principes qui soient les nôtres, sans avoir l’air de vouloir imposer nos principes à l’Allemagne...» Tout se tenait dans les vues de cet esprit subtil et compliqué. Ministre d’un empire conservateur auquel il croyait avoir rendu la paix sous un gouvernement paternel, il n’avait d’autre préoccupation que de maintenir l’Autriche dans une paisible et silencieuse