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la lutte et se traduisait sous toutes les formes: livres, brochures, journaux, cours publics. C’était l’époque où un peu partout, à Berlin même sous les yeux du gouvernement, à Iéna, dans les provinces rhénanes, s’essayait une presse politique agitatrice, où des hommes au patriotisme violent et confus, comme Arndt et le gallophobe Gœrres et le fougueux Jahn, étaient des guides populaires de l’opinion avec lesquels on avait à compter. Le mouvement avait surtout son foyer dans les universités, et entre toutes les universités, à Iéna, où sous des maîtres exaltés, appelés par le grand-duc de Saxe-Weimar lui-même, se pressait une jeunesse ardente, bientôt enrôlée dans la « Burschenschaft, » cette héritière de toutes les associations patriotiques et nationales du temps de la domination étrangère. On rêvait de refaire une Allemagne par les exercices violens du gymnase, comme par les hardiesses de la pensée philosophique et politique; on ne s’entendait pas beaucoup. Il y avait dans tous les esprits un singulier mélange de patriotisme romantique, de haineuse hostilité contre la France, d’exaltation chevaleresque, de fanatisme révolutionnaire. Tout cela fermentait dans les mystérieux conciliabules des universités, où grandissait une génération éprise d’un idéal confus de rénovation allemande et de libéralisme démocratique. Un jour venait, — C’était le 18 octobre 1817, — où cette agitation se manifestait sous une forme bizarre. Les étudians d’Iéna, qui avaient fait appel aux étudians de toutes les autres universités, célébraient du même coup, dans une fête commémorative à la Wartburg, le troisième centenaire de la réformation et l’anniversaire de la bataille de Leipzig. Le soir venu, après bien des discours, ils allumaient un feu de joie où ils jetaient pêle-mêle, avec mille anathèmes, les ouvrages d’Ancillon, de Haller, de Kamptz, de Kotzebue, cet Allemand qui avait passé au service de la Russie en 1812, et qui était revenu à Iéna, où il écrivait un journal contre les idées nouvelles. La fête de la Wartburg est comme le point culminant de l’agitation allemande du temps. En sorte que, durant ces premières années, tandis que la vie libérale renaissait par degrés en France, tandis qu’en Italie les sectes se mettaient à l’œuvre contre la domination autrichienne, un mouvement singulièrement compliqué se déroulait en Allemagne, tout constitutionnel dans quelques états où les princes essayaient de tenir leurs promesses, révolutionnaire dans la presse, dans les universités fanatisées.

Voilà la situation où des luttes nouvelles étaient inévitables, où en face des agitations révolutionnaires se concentraient, d’un autre côté, les forces de réaction et de résistance auxquelles 1815 avait rendu l’ascendant. M. de Metternich a été à son heure et à sa manière le vrai chef de ces forces. Il n’avait pas eu l’étrange fortune