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la ténacité des oppositions et la violence de l’antipathie de l’Alsace contre les vainqueurs. Pendant plusieurs années après la guerre, le chancelier a été l’arbitre de l’Europe ; sa puissance même lui faisait trouver doux le repos du lion. Aujourd’hui, il a devant lui la série des difficultés intérieures et extérieures : il les classe, et peut-être pense-t-il qu’il est d’une bonne méthode de se mesurer successivement avec elles, pour ne point les léguer toutes ensemble à la seconde génération de l’empire.

La France a montré par des signes évidens sa volonté de retarder l’échéance que l’opinion européenne considère comme fatale. Les Allemands craignent ou font semblant de craindre qu’elle ne se précipite un jour et tout à coup dans la guerre ; mais cette promptitude aux résolutions extrêmes n’est plus dans nos mœurs, et nos institutions la rendent impossible. Nous avons, nous aussi, une armée nationale, et chacun de nous sait que la guerre suspendra toute vie et mettra des angoisses dans toutes les âmes. Personne, d’ailleurs, en France, n’a le pouvoir de donner le signal décisif : nous avons une procédure parlementaire pour la déclaration de guerre, et ceux qui dirigent aujourd’hui notre parlement avaient tout au moins âge déjeune homme en 1870 : ils ont des souvenirs qui rendent graves. Enfin nous vivons dans une crise continue, sous le régime de la division des partis, du conflit des programmes, des tiraillemens en tous sens, des efforts contradictoires qui se neutralisent et se perdent en piétinement. L’Allemagne sait comment et par qui elle serait gouvernée pendant la lutte : savons-nous qui nous gouvernerait? Pour toutes ces raisons, la France ne peut avoir une politique offensive. Elle est prête à une résistance qui serait formidable, car elle y mettrait toutes les forces accumulées depuis dix-sept ans, une résolution unanime et le sentiment que l’alternative est entre la victoire ou la mort ; mais elle ne prendra point la responsabilité de l’attaque : elle attendra. Cependant une réconciliation sincère est impossible. L’auteur de l’Allemagne actuelle nous donne de sages avis dans le chapitre original qu’il intitule la Revanche. Il y a, nous dit-il, des revanches inattendues, comme celle que la France a prise sur sa vieille ennemie, l’Angleterre, le jour où Bosquet a sauvé ses soldats à Inkermann, le jour encore où Pélissier a pris d’assaut Malakoff, pendant que nos alliés étaient arrêtés au pied du Grand-Redan. A merveille ! Mais comment et contre qui pourrions-nous donc nous allier à l’Allemagne? Il ne faut pas non plus nous proposer l’exemple de l’Autriche vaincue et réconciliée avec le vainqueur, car l’Autriche n’a point perdu d’âmes qui fussent siennes. Les territoires qu’on lui a enlevés ne lui appartenaient point. Elle n’a pas subi d’amputation dans la chair vive, et même ses malheurs