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la recrute et elle est comme la propriété de l’empereur. C’est l’Allemagne en armes, et pourtant elle est au-dessus de l’Allemagne. Il n’est jamais question de la régler sur les convenances de la vie nationale : elle doit être la première servie et satisfaite. Certainement elle est le signe le plus clair de l’unité. Autour d’elle se rallieraient, si l’œuvre était mise en péril par l’étranger, tous les Allemands de tous les pays. Ils saisiraient avec enthousiasme la joie de se retrouver unanimes, et le malaise, qui gagne peu à peu les patriotes les plus clairvoyans, s’apaiserait dans un hurrah formidable. De même, chez nous, lorsqu’un ministre demande à la chambre, qui est une arène de partis, quelque nouveau sacrifice exigé par la sécurité de la patrie, les députés de la France, pour un moment, se sentent tous Français.

Quand deux pays voisins se trouvent dans cette situation que chacun d’eux est divisé contre soi-même et uni contre l’autre, une légitime inquiétude pèse sur le monde entier : la guerre paraît fatale et toute prochaine.

L’auteur de l’Allemagne actuelle nous affirme que l’Allemagne ne menace personne et qu’elle est pacifique. Depuis quinze ans, dit-il, elle maintient la paix, et elle a évité plus d’un conflit ; à la vérité, la Prusse est de nature belliqueuse, mais le jour où elle a mis la main sur les états allemands, tout en augmentant ses forces matérielles, elle a gêné ses mouvemens et diminué l’impétuosité de son initiative. L’Allemagne accepterait sans hésiter la lutte contre l’Europe entière, si sa frontière était menacée ; mais elle se trouve bien comme elle est, répugne à toute conquête, et, pourvu qu’on la laisse tranquille, ne cherchera noise à personne... Rien de plus vrai, et nous serions rassurés en effet, si nous avions devant nous un pays en pleine possession de ses destinées ; mais l’Allemagne ne sera point consultée le jour où sera lancé l’ordre de mobilisation, et publiée la déclaration de guerre. Certes M. de Bismarck n’est pas homme à recommencer aisément l’épreuve de 1870. Il n’aime point la guerre pour la guerre. Il est un trop grand homme d’état, et il a trop le souci de sa responsabilité envers son pays, envers l’histoire et envers Dieu, pour abandonner au parti militaire la direction de sa politique et lui permettre de se jeter sur la France, uniquement parce que l’heure serait bien choisie d’une guerre de destruction : mais il semble que, depuis quelques mois, il ne soit plus aussi maître de lui-même : ne serait-ce point parce qu’il ne se sent plus aussi maître d’autrui? L’échec de la politique de la triple alliance impériale lui a fait perdre l’espoir de maintenir longtemps la paix. L’opposition du parlement l’a exaspéré ; elle a donné plus de précision à ses inquiétudes. Les dernières élections enfin ont révélé