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touché l’histoire de leurs propres mains. Peu importe, d’ailleurs, le mot de l’énigme. Que ce publiciste ait tu son nom, parce qu’il a un nom, ou qu’il ait cru superflu de le dire, parce que ce nom est inconnu, il a su nous donner une impression juste sur ce grand pays d’Allemagne, qui est tout à la fois très fort et très embarrassé de grosses difficultés. Son livre est un texte excellent pour parler de l’Allemagne actuelle, comme nous allons essayer de le faire, si grand et si redoutable que soit un pareil sujet.


I.

Dix-sept ans ne se sont pas écoulés depuis la fondation de l’empire, et plusieurs fois les pouvoirs publics se sont heurtés dans des conflits. Les dernières élections ont troublé toute l’Allemagne et toute l’Europe, et les électeurs ont été avertis qu’une révolution ou la guerre pouvait sortir des urnes. Il y a donc chez nos voisins un malaise politique profond. J’en voudrais rechercher les causes, en toute liberté d’esprit, avec une impartialité d’historien, et en suivant la méthode des philosophes qui commencent l’étude d’un problème par la critique des idées reçues, et démolissent avant de reconstruire.

Est-il vrai que l’Allemagne, devenue la première puissance militaire du monde, porte avec quelque impatience les charges que lui impose sa grandeur ? S’alarme-t-elle d’être haïe autant qu’elle est redoutée ? Souffre-t-elle, en un mot, de la brusque transformation qu’elle a subie depuis 1866 ? Il faut, pour répondre, comparer l’état ancien et l’état actuel de ce pays.

L’ancienne confédération germanique, instituée par le congrès de Vienne au lendemain de la plus terrible secousse qui ait ébranlé le continent, était, par excellence, une institution de paix. Les caractères en ont été étudiés dans un très grand nombre d’écrits politiques, entre lesquels il convient de signaler une brochure pleine d’idées, qui a pour titre la Politique médiatrice de l’Allemagne[1]. « L’Allemagne, dit très bien l’auteur, par sa situation, sa masse et sa profondeur, pouvait servir de barrière entre les états, les protéger tous contre la prépondérance ou l’agression d’un seul, éloigner de chacun d’eux le péril des coalitions. Mais, pour la rendre apte à remplir cette fonction d’intérêt européen, quelle organisation intérieure fallait-il donner à la confédération ? Il fallait évidemment l’organiser de telle façon que ses membres fussent toujours

  1. La Politique médiatrice de l’Allemagne. Paris, 1855.