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rare, qui se résumait en deux mots que lui avait appris un mauvais plaisant de midshipman anglais : all serene, tout est serein. Puis il revenait à Lakemba, sa capitale, retrouver ses danseuses et ses femmes, qui respiraient un peu en son absence.

Sollicité à maintes reprises par les missionnaires anglais de donner un meilleur exemple à son peuple, de modifier quelque peu son genre de vie et d’user de son influence pour hâter la réforme religieuse, Maafu s’y refusait énergiquement, alléguant qu’il n’y avait rien à reprendre à sa manière de vivre, qui lui convenait, et qu’il n’entendait pas du tout se mêler de propagande. Une fois, cependant, il crut de son devoir et de son intérêt d’intervenir.

Dans une des îles soumises à son pouvoir, un indigène, se prétendant inspiré, allait de village en village, prêchant une religion nouvelle et se disant un ange descendu du ciel pour annoncer la fin du monde. Averti par les missionnaires, Maafu répondit qu’en ce qui concernait la fin du monde toutes les opinions étaient libres ; que, quant à lui, il n’en avait pas d’arrêtée. Ils insistèrent ; Maafu ne daigna pas les écouter, étouffa leurs voix en cognant sur le parquet avec les têtes de ses femmes et se remit à boire du kawa en contemplant ses danseuses. Mais, peu de jours après, il apprit que le prophète affirmait entendre des voix d’en haut, et qu’une de ces voix lui avait dit : « Prêche au peuple que la fin de toutes choses est proche ; qu’il cesse donc de planter de l’igname et du taro, ainsi que de payer la taxe à Maafu, » et que le peuple se montrait disposé à obéir. Du coup Maafu jugea qu’il était temps d’agir. La fin du monde le préoccupait peu, mais la taxe lui tenait fort à cœur. Sans plus tarder, il s’embarqua à bord de son yacht, le Xarifa, et vint jeter l’ancre en vue de l’île, puis il fit comparaître devant lui les principaux du village. Ils le trouvèrent sur le pont occupé à tresser une corde.

— Qu’est-ce que j’apprends, Fijiens ? on me dit que vous ne plantez plus ni ignames ni taro pour l’année prochaine. On ajoute, ce que j’ai peine à croire, que vous vous refusez même à payer la taxe ?

Ils lui exposèrent humblement que, puisque le monde allait finir, il était bien inutile de planter et de cultiver ; que, quant à l’impôt, lui, Maafu, n’en aurait que faire là-haut ; qu’un ange du Seigneur leur était apparu et les avait invités à consacrer leurs derniers jours à la prière et à la repentance.

— Amenez-moi votre ange, répondit brusquement Maafu, j’aimerais bien le voir.

On s’empressa d’obéir. L’ange vint, accompagné de sa femme, qui allaitait un baby. Maafu continuait à tresser sa corde.

— C’est toi qui invites le peuple à négliger tous ses devoirs, et le plus sacré de tous : le paiement de la taxe ?