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s’élève pourtant fort au-dessus de la vulgarité contemporaine. En supprimant avec goût tous les détails précis qui datent une figure, détails indispensables dans une œuvre historique, mais inutiles dans une œuvre décorative, en donnant à leurs nudités de la souplesse et de la vie sans nulle affectation scolaire, ils ont fait des ouvrages estimables qui rempliront bien leur but, puisque, facilement intelligibles aux esprits les plus simples, ils satisferont en même temps les yeux exercés des gens cultivés. Ce que nous disons à propos des bronzes de MM. Leroux et Hiolin peut s’appliquer à un grand nombre d’artistes, dont plusieurs même leur sont supérieurs par la puissance d’invention ou par la force d’exécution. L’une des œuvres les mieux réussies dans cet ordre d’idées, dont nous avons ici même longuement parlé l’art dernier, le groupe de coureurs sur le point de toucher Au but, par M. Boucher, reparaît aussi cette année, en bronze, aux Champs-Elysées. L’auteur y a apporté, dans la combinaison des mouvemens, quelques heureuses modifications qui ont donné à ce beau trio plus de vivacité encore et plus d’aplomb ; la fonte en est remarquablement réussie. C’est dorénavant, où qu’il soit placé, un de ces ouvrages qui se fixent légitimement dans l’imagination populaire.

M. Boucher vise à des succès d’un ordre plus relevé encore en abordant, dans son Vaincre ou mourir, ces compositions allégoriques d’inspiration patriotique et de hautes tendances morales où se complaît volontiers l’imagination de nos sculpteurs depuis que M. Antonin Mercié leur a donné, sur ce point, de si brillans et de si salutaires exemples. La conception de ce groupe colossal est vigoureuse. Une grande et forte femme, debout, bras nus, échevelée, prête à marcher, la Patrie, s’élance en avant. Du bras droit, elle soutient son fils, un homme nu, qui, les yeux fermés, tenant à la main un tronçon d’épée brisée, s’affaisse et rend l’âme ; de la main gauche, elle pousse un jeune garçon, qui, d’un air résolu, saisit l’arme échappée à l’étreinte de son père mourant, tandis que, derrière elle, un robuste forgeron, accroupi dans son ombre, forge à grands coups sur l’enclume un nouveau glaive. La pensée est nette, facile à saisir sans commentaire ; c’est donc une pensée sculpturale. Les quatre figures du groupe, considérées isolement, sont aussi des figures sculpturales traitées avec une remarquable force. La moins bonne, pour le moment, c’est la principale, dans laquelle M. Boucher semble à la fois s’être souvenu de la Victoire d’Halicarnasse et de la Marseillaise de Rude, ce qu’on ne songerait point à lui reprocher s’il avait retrouvé, dans le jet des draperies, le mouvement grandiose qu’on admire chez la première, et, dans l’expression du visage, la sublime ardeur qui anime et