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libertés publiques dans le mélancolique exil de Cambray, et pendant les jours trop rapides où son royal élève, le duc de Bourgogne, s’était cru à la veille de gouverner la France, il n’avait pas craint de lui soumettre les linéamens d’une nouvelle organisation politique, dont le but était de limiter la puissance royale et de rendre à la nation une part légitime dans le gouvernement de ses destinées. Mais, loin de vouloir rompre avec le passé de la France, Fénelon, dans ses plans, moins chimériques peut-être qu’on ne l’a dit, songeait, au contraire, à rattacher ses projets d’innovation à d’antiques franchises nationales, et, en particulier, à rendre à la noblesse le rôle politique dont elle s’était laissé dépouiller. Tout autre était le plan de d’Argenson, tel que nous le trouvons développé dans un document intitulé : Considérations sur le gouvernement de la France, déjà rédigé tout entier avant son entrée au ministère, bien qu’il n’ait vu le jour qu’après sa mort. Admirateur enthousiaste de l’œuvre de nivellement accomplie par la main vigoureuse de Richelieu, il ne s’y montre pressé que de l’achever. Il a hâte de balayer du sol tout ce qui survivait encore de distinctions, de classes et d’immunités privilégiées pour les remplacer par des libertés nouvelles largement puisées à des sources populaires. Assemblées de paroisses, de districts et de provinces librement élues par un suffrage très étendu, et chargées de percevoir les impôts, puis de les répartir proportionnellement entre tous les citoyens, — suppression de toute exemption ecclésiastique ou nobiliaire, — abolition de la vénalité des charges de la magistrature, — tous ces points sont abordés de front et toutes des questions tranchées sans hésitation par une solution radicale. En fait d’audace à fouler aux pieds toutes les traditions, en fait de confiance dans la valeur absolue et la puissance logique des principes, les constituans de 1789 n’auraient pu mieux dire et n’ont pas fait plus. Le mot lui-même ne fait pas peur au hardi novateur ; c’est bien la démocratie qu’il appelle par son nom et qu’il veut greffer sur la monarchie de Louis XIV. Seulement à un point qui pourrait paraître la conclusion du système, la pensée s’arrête et tourne court ; au-dessus des assemblées provinciales, on s’attend à voir élever une assemblée nationale provenant également de l’élection et décidant des intérêts généraux du pays. Ce couronnement manque à l’édifice, et le roi, dans l’écrit de d’Argenson, garde la prérogative de faire les lois en son conseil et de les promulguer sous forme impérative ; c’est lui aussi qui fixe le montant des contributions, et à qui même, en certains cas, est attribué le droit de casser les arrêts de la justice.

D’où vient cette inconséquence ? Est-ce défaut de logique ou