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répugnances dont il n’avait pas le courage de faire le sacrifice. D’une part, sa fierté royale se sentait blessée à la seule pensée de voir un petit prince de Lorraine, la veille son humble voisin, presque son vassal, devenir empereur, et empereur malgré lui, et acquérir par là une dignité dont le titre était supérieur au sien. C’était comme si un des seigneurs de sa cour, qui portaient le manteau de son sacre, fut sorti du rang pour se placer auprès de lui et marcher son égal[1]. Mais, d’un autre côté, rien ne lui tenait plus à cœur que de reprendre lui-même, à la tête de son armée de Flandre, la suite des opérations interrompues l’année précédente par sa maladie. De toutes les prétentions à une action personnelle qu’il avait conçues après la mort de Fleury, celle de commander les armées était la seule dont il ne fut pas découragé. L’assistance aux délibérations du conseil et plus encore le travail du cabinet avaient promptement fatigué son indolence. Mais au feu et dans les camps, le fils de tant de héros se sentait à son aise et comme chez lui. Il était donc très impatient de reparaître sur les champs de bataille. Peut-être aussi que le sentiment des justes censures qu’avaient méritées ses faiblesses, le désir de se réhabiliter aux yeux de ses sujets et d’entendre de nouveau le murmure flatteur des acclamations populaires, accroissaient secrètement son impatience. Mais d’aller guerroyer en Allemagne, c’est ce que ni ministre ni courtisan n’auraient osé conseiller au souverain de la France. La guerre de Flandre était la seule à laquelle il pût raisonnablement se proposer de prendre part, et lui demander d’y renoncer, c’eût été le condamner de nouveau à un régime d’obscurité et de repos où il n’était pas encore résigné à rentrer.

Le roi ne voulant ainsi se décider au sacrifice d’aucune prétention et ne trouvant personne devant lui pour lui montrer la nécessité de faire un choix, le parti fut pris tout naturellement, même sans être discuté, de poursuivre tous les genres de succès à la fois, au risque d’aller ainsi à la dérive au-devant de tous les échecs et de tous les périls. La lutte matérielle dut être continuée sur tous les théâtres, tandis qu’une nouvelle lutte électorale allait s’engager à Francfort. Seulement, ce plan ambitieux, adopté par complaisance plutôt que par conviction, n’était hardi qu’en apparence : on le vit bien à l’exécution, qui ne se trouva dirigée par aucune vue d’ensemble. En Flandre seulement, les préparatifs de guerre durent être poursuivis avec le soin et l’ardeur que mettent des serviteurs

  1. « L’aversion qu’on a ici pour le grand-duc est plus grande dans le maître que dans ses ministres ; il y a dans le cœur du roi de France une jalousie et une haine telles que ces deux passions se font sentir dans un supérieur pour un inférieur. (Chambrier à Frédéric, 20 février 1745.)