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gain de cause du jour ou le chancelier s’était promis d’obtenir leur vote ; ce jour-là, les lois de mai furent biffées dans son esprit. Si ce raisonnement est fondé, on ne voit pas bien ce que la papauté a gagné en se substituant aux députés du centre pour défendre, vis-à-vis de leur souverain, des droits qu’ils eussent reconquis tout seuls ; on voit très bien ce qu’elle y a perdu.

Elle s’est jetée dans ce qu’on appelle « l’arène parlementaire » pour faire rendre à César 172 millions de marks et 47,000 recrues. La manœuvre était hardie ; elle a scandalisé les libéraux de tous les pays, effrayé tous les gouvernemens qui comptent des électeurs de la religion romaine ; d’autre part, elle a frappé les imaginations, elle pouvait rehausser le prestige de la puissance pontificale. Ce sont des inconvéniens et des avantages sujets à discussion. Une immixtion de l’église dans la politique, sous forme de conseils donnés à ses enfans, n’a rien qui nous choque en principe ; l’église est une grande association, nous lui souhaitons les mêmes droits qu’aux autres, ses membres ont toute licence de consulter leurs chefs spirituels. Seulement on eut voulu qu’elle choisît un autre terrain pour frapper ce coup d’éclat ; il est fâcheux que son premier acte de cette nature ait eu toute l’apparence d’un marché. Enfin, cet acte ne pouvait se justifier que par un succès d’obéissance foudroyant.

C’est toujours chose hasardeuse de mettre à l’épreuve cette arme imposante, mais d’effet incertain, une grande autorité morale dont on vous fait crédit. Jusqu’à ces derniers mois, nous tenions les catholiques allemands pour les plus soumis des fils de l’église ; nous eussions répondu de leur déférence empressée à tous ses conseils, aussi bien que de leur obéissance passive à ses prescriptions dogmatiques. Il faut rabattre un peu de cette opinion après expérience faite. L’obéissance religieuse reste entière ; la déférence politique a été molle, languissante, point du tout unanime. Encore quelques essais pareils, et ces troupes sacrifiées pourraient bien lâcher pied. Quel accueil les nonces rencontreraient-ils à la porte du chancelier, le jour où ils s’y présenteraient les mains vides et sans amener des soldats ? On a mortifié les chefs du centre, ces vieux combattans qui portaient depuis quinze ans le poids du jour et de la chaleur ; on a traité par-dessus leurs têtes. Ce sont des hommes ; il est à craindre que leurs cœurs blessés s’ouvrent à un sentiment bien humain : celui d’une armée qui voit des négociateurs de cour arriver à la dernière heure, recueillir le fruit de ses fatigues, rester sourds à ses plaintes, et réserver toutes les prévenances pour l’ennemi de la veille. Ce grand parti du centre estime qu’il aura encore bien des batailles à livrer pour ses intérêts particuliers ; on lui donne congé, on le laisse en l’air,