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toujours de ne les obtenir jamais dans une mesure suffisante. Puis, ce compte fait, il fallait se bien mettre en tête que tout ce labeur maintenant dépensé en pure perte, n’était rien auprès de ce qu’allait coûter la même opération, reprise à nouveau dans des conditions bien moins favorables.

Le temps était passé, en effet, où Belle-Isle, faisant sa première tournée électorale dans le majestueux appareil de son ambassade, captivait tous les suffrages par le double ascendant de la force et de l’éloquence. Depuis lors, candidat aussi bien qu’électeurs avaient bien changé de situation comme de sentimens. Le prince, que Belle-Isle prenait ce jour-là par la main pour le porter au trône impérial, était dans la force de l’âge, préparé de longue dite à cette haute prétention, issu d’une race illustre et guerrière dont on se plaisait encore à croire qu’il avait hérité le courage en même temps que l’ambition et le pouvoir. En face de lui se présentait timidement un jeune homme inconnu, étranger à l’Allemagne par sa naissance, n’ayant d’autres titres à invoquer que la tendresse et les larmes de son épouse ; genre d’intercession plus propre à lui attirer la compassion que l’estime. Aujourd’hui, tous les rôles étaient renversés ; c’était le pupille de la France qui n’était qu’un enfant, et si François de Lorraine n’avait pas beaucoup grandi dans l’opinion de ses compatriotes, l’éclat des vertus viriles déployées par sa compagne rejaillissait sur lui ; en plaçant la couronne sur son front, on pouvait être assuré de trouver, à ses côtés, une main ferme qui saurait l’y maintenir.

En se bornant même à établir matériellement un calcul de suffrages (très aisé à faire, dans l’auguste mais petit collège dont l’élection impériale dépendait), non-seulement l’unanimité obtenue par Charles VII ne pouvait plus être espérée, mais la majorité numérique semblait perdue d’avance. Les deux rois électeurs de Pologne et de Hanovre, — dont Belle-Isle avait arraché le concours en flattant l’ambition de l’un, en assurant à l’autre la sécurité de son patrimoine, — s’étaient décidément émancipés. Des conventions expresses les baient à l’Autriche ; leurs armées réunies combattaient ensemble contre les nôtres, soit en Flandre soit en Bohême. Des trois sièges ecclésiastiques, Mayence, le plus important, puisque la présidence de la diète y était attachée, était dévolu à une créature de Marie-Thérèse : les titulaires des deux autres se renfermaient dans une neutralité de jour en jour plus malveillante et qui déguisait à peine l’hostilité ; la Bohême étant définitivement rentrée sous la main de ses anciens maîtres, il n’y avait plus de prétexte pour tenir en suspens la voix électorale de ce royaume, comme on s’y était décidé, non sans peine, à la précédente épreuve. Mais ce qui