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Bien que la fin de la dernière campagne n’eût pas complètement répondu à l’éclat du début, nos armées restaient cependant maîtresses d’une notable partie des Pays-Bas et de toutes les possessions autrichiennes du Rhin. La barrière de forteresses qu’un traité jaloux avait élevée autour de nous pour contenir l’ambition des successeurs de Louis XIV était entamée, et plusieurs des citadelles qui formaient comme les anneaux de cette chaîne continue restaient entre nos mains. A l’extrémité d’une autre frontière, la prise de Fribourg nous livrait les clés d’une des portes du saint-empire. Ces succès partiels étaient de peu d’importance et surtout de peu d’efficacité si on s’obstinait à vouloir régenter l’Allemagne : Frédéric avait raison de dire qu’on ne pouvait conquérir l’Autriche en faisant la guerre sur les bords du Rhin, et qu’on n’arriverait pas à Vienne en passant par Bruxelles. Mais si, au lieu de disputer à Marie-Thérèse le patrimoine de ses aïeux, on ne songeait qu’à traiter avec elle à des conditions honorables et fructueuses, ces conquêtes, en elles-mêmes insignifiantes, étaient pourtant d’excellens gages dont on se trouvait nanti d’avance et qui formaient des objets d’échange nullement à dédaigner. En Italie, les faits d’armes brillans du prince de Conti nous laissaient un avantage, sinon matériellement, au moins moralement égal. L’hiver, il est vrai, en avait interrompu le cours, et le prince avait dû repasser les Alpes sans pouvoir achever le siège de l’importante place de Coni : mais ce n’était que partie remise, car il restait maître, à l’Argentière, d’une voie de communication ouverte qui lui permettait de reparaître, pour reprendre l’œuvre inachevée, au premier souffle du printemps ; et, en attendant, les troupes françaises demeuraient campées dans le comté de Nice et les troupes espagnoles en Savoie, ayant peu souffert et pleines de confiance dans leur supériorité. Entamer une transaction diplomatique en offrant la paix avec des moyens d’action qui auraient pu permettre de l’imposer, c’était, pour emprunter à un politique du temps une expression juridique alors consacrée, plaider les mains garnies.

A la vérité, si on était plus fort qu’au point de départ, on était aussi moins libre. La France ne se présentait plus seule, pas plus sur le terrain diplomatique que sur le militaire. Elle avait lié sa partie avec des alliés et ne pouvait se retirer du jeu sans les prévenir : un traité spécial l’obligeait envers Frédéric ; l’honneur et la loyauté ne lui permettaient pas d’abandonner sans défense le jeune héritier de la Bavière, compromis pour la cause commune et menacé dans sa capitale l’union des confédérés de Francfort avait été négociée par son ambassadeur et revêtue de sa garantie : c’était là une série