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danger de trébucher, et sous une pluie de boulets qui, partant de droite et de gauche, l’atteignait en flanc et à dos. La cavalerie, qui avait un instant paru se disposer à la suivre, dut reculer, la voie étant reconnue décidément impraticable pour les chevaux. Aussi fallait-il amener les canons à bras, en leur frayant un passage à travers d’étroits sentiers. Six pièces d’artillerie étaient portées ainsi en tête des colonnes, six autres gardées dans l’intérieur des lignes. Des files entières de soldats qui les portaient tombaient à chaque pas, mais les vides étaient sur-le-champ remplis, et, rien n’arrêtant cette marche intrépide, la tête des trois colonnes, très éprouvées, mais ni débandées ni intimidées, apparut bientôt de l’autre côté du ravin.

C’était là que devaient se trouver postés, pour les recevoir, quatre bataillons de gardes françaises et deux bataillons de gardes suisses ; ces compagnies faisaient partie de la brigade que commandait le duc de Gramont, et qui venait de perdre son chef ; et bien que le duc de Biron eût pris immédiatement sa place, un peu de désordre résultait toujours de ce changement de mains. De plus, le sol s’abaissait rapidement à partir du rebord du ravin, et en dérobait le fond aux regards. Les officiers des gardes françaises et leur nouveau commandant n’avaient donc pu suivre le mouvement ni en soupçonner toute la gravité ; quand ils virent poindre les canons des batteries anglaises : — « Allons les prendre, » dirent-ils, plus surpris qu’effrayés, et ils s’avancèrent avec une poignée d’hommes. Mais, arrivés sur la crête du fossé, « ils furent bien étonnés, dit Voltaire, de trouver une armée devant eux. L’artillerie et la mousqueterie en couchèrent plus de soixante, et le reste fut obligé de revenir dans ses rangs. »

L’alarme une fois donnée, tous les bataillons français se serrèrent pour faire face à l’ennemi. Mais pendant que cette réunion s’opérait, les colonnes anglaises sortaient en ligne du ravin, et elles aussi se formaient en bataille dans la plaine. Quand une première rencontre dut avoir lieu, les deux troupes n’étaient plus qu’à cinquante pas de distance. En tête s’avançaient, de part et d’autre, l’élite de la noblesse des deux pays : le duc de Biron et le comte de Chabannes d’un côté ; de l’autre, le comte d’Albemarle, Robert Churchill, fils naturel du duc de Marlborough, lord Charles Hay, frère du marquis de Tweedale. En s’abordant, ces gentilshommes se saluèrent comme s’ils s’étaient rencontrés à la promenade ; puis il y eut un instant de silence et une halte comme pour un échange de politesses : — « Tirez donc, messieurs, dit alors lord Charles. — Non, monsieur, répondit à voix haute le comte d’Anterroche, lieutenant aux grenadiers de la garde, nous ne tirons jamais les premiers ; tirez vous-mêmes. »

Dois-je avouer que cette scène fameuse de courtoisie élégante,