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revinrent à la charge une seconde, mais pour se voir tellement malmenés qu’un de leurs escadrons tout entier fut emporté et qu’il n’en resta plus debout que quinze hommes. A partir de ce moment, complètement décourages, ils allèrent se mettre à couvert derrière un petit monticule qui leur servit d’abri et dont ils ne bougèrent plus de la journée, se sentant incapables de remplir l’ordre qu’ils avaient reçu, en attendant de nouveaux qui n’arrivèrent pas. Cette première phase du combat se passant dans le voisinage de la colline où se trouvaient le roi et le dauphin, les deux princes quittèrent un instant leur poste pour la suivre de plus près. Les balles sifflaient à leurs oreilles, un boulet vint mourir à leurs pieds ; le roi, le rejetant vers le dauphin : — « Renvoyez cela à ces gens-là, dit-il en riant, car je ne veux rien garder d’eux. » — Un instant après, le feu cessa ; et le maréchal, averti de cet heureux début de la journée, vint lui-même pour s’assurer de son succès ; mais comme on s’empressait autour de lui pour lui en faire compliment : — « Doucement, messieurs, dit-il : tout n’est pas dit ; allons maintenant aux Anglais ; ils seront de plus dure digestion[1]. »

Effectivement, l’assaut donné au village de Fontenoy fut plus vif, plus obstiné et plus meurtrier. C’était le centre et la clé de la situation ; ce point de la ligne forcé, l’armée française était coupée en deux tronçons qui ne pouvaient plus se rejoindre. C’est ce qui était senti de part et d’autre, et donna au conflit un caractère particulièrement âpre et acharné. Cumberland commandait lui-même. Maurice, toujours porté dans son petit chariot, vint se placer en face de lui, accompagné du maréchal de Noailles, qui suivait le roi en qualité de ministre, sans exercer aucun commandement, mais qui, oubliant la supériorité de son âge et de sa situation, se plaisait à se faire l’auxiliaire officieux de son ancien lieutenant. Noble désintéressement, qui venge sa mémoire de bien des calomnies ! C’était entre les deux maréchaux un touchant échange d’amitié et de déférence. Noailles affectait de prendre les ordres de Saxe, et Saxe les avis de Noailles, qu’il appelait tendrement son père. Sous leurs yeux, l’attaque fut renouvelée trois fois avec une violence inouïe. L’air était assourdi par le son des clameurs gutturales qui sortaient des poitrines anglaises, mais rien ne put tenir devant le feu des redoutes et des régimens massés autour d’elles ; un fossé assez profond, creusé en avant du village, fut littéralement rempli de cadavres. De guerre

  1. D’Espagnac, t. II, p. 66, — Souvenirs du marquis de Valfons, p. 116. — Carlyle, Histoire de Frédéric le Grand, t. IV, p. 116. Cet écrivain, qui, en général, ne se fait aucun scrupule, pour rendre son récit plus dramatique, d’emprunter le détail des faits ii son imagination, paraît avoir eu ici des renseignemens assez certains, tirés d’un document anglais inédit.