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de la guerre, le comte d’Argenson ; il se peut très bien que je sois obligé de lever le siège pour aller au-devant des ennemis, mais il n’est pas possible de rester dans l’inaction l’espace de temps qu’il leur faut pour s’assembler… Quant à moi, il ne m’importe guère que je sois obligé de lever le siège, et je sacrifie toujours ma réputation au bien du service du roi. » — Il donnait en même temps des nouvelles d’un optimisme très exagéré sur l’état de sa santé. — « J’ai été hier quatre heures à cheval, disait-il, sans que cela m’ait fatigué ; j’ai en ensuite une indigestion, mais je me porte fort bien aujourd’hui[1]. »

Le ministre lui répondit courrier par courrier. — « Sa Majesté a fort approuvé vos vues et vos résolutions. Je ne vous répéterai pas ce que je vous ai déjà mandé sur la confiance entière qu’Elle a dans votre zèle pour son service, et dans l’intérêt que vous prenez à sa gloire. Elle s’y livre entièrement ; Elle est impatiente de vous aller joindre, et si Elle pouvait avancer le moment, Elle le ferait avec plaisir. Mais les préparatifs d’une marche telle que la sienne ne sont presque pas possibles à changer ; c’est ce que j’ai pris la liberté de lui représenter. Elle m’a cependant ordonné de vous mander qu’au cas que les choses tournassent de façon que son arrivée, vingt-quatre heures plus tôt, lui fit avoir une part à une action qu’Elle ne voudrait pas laisser échapper, vous n’auriez qu’à lui dépêcher un courrier au-devant d’Elle et qu’Elle se rendrait tout de suite de Compiègne au camp, où Elle pourrait arriver vendredi dans la soirée[2]. »

Effectivement, le départ de Versailles, précipité par l’impatience de Louis XV, s’accomplit cette fois sans les lenteurs et les formalités habituelles à tous les mouvemens des personnes royales, et Luynes lui-même, si exact à tenir registre de tous les détails, ne trouve à nous raconter que quelques scènes de ce drame intérieur de la famille, qui se ressemblent dans tous les temps comme dans toutes les conditions sociales, et dont on devine l’émotion au travers, j’ai presque dit à la faveur de la discrète sécheresse de son récit. Les équipages étaient déjà commandés pour le lendemain, que la reine n’en avait pas encore connaissance ; elle ne sut que les ordres étaient donnés que par un mot dit à l’ambassadeur d’Espagne devant elle et dans son appartement, après quoi le roi en sortit sans lui dire adieu comme les autres jours. Le jour venu, à l’heure dite, c’est la reine qui se rend chez son époux, comme c’était son usage chaque matin, mais pour n’y rester aussi qu’un

  1. Maurice de Saxe au comte d’Argenson, 29 avril 1745. (Ministère de la guerre.)
  2. Le comte d’Argenson à Maurice de Saxe, 2 mai 1715. (Ministère de la guerre.)