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mérite, accrédité par ses travaux, M. le général Perron, qui entre au ministère de la guerre ; il comprend aussi quelques noms qui paraissent avoir une légère couleur radicale, et que la France aura besoin d’apprendre. M. Bouvier, on le sent, a cédé lui aussi à l’obsession de ce qu’on appelle la concentration républicaine ; il a voulu contenter les groupes, faire une part à quelques radicaux, combiner à son tour les nuances de l’arc-en-ciel républicain. Il ne faut pas trop s’attacher aux noms et aux mots. M. Rouvier s’est chargé d’une tâche difficile. Évidemment, s’il n’entre au pouvoir que pour recommencer ce que ses prédécesseurs ont fait avant lui, pour acheter l’appui des radicaux par d’incessantes concessions, pour se laisser imposer tout ce qu’imagineront les réformateurs chimériques, il n’entreprend qu’une couvre inutile ou dangereuse ! il fait une vaine expérience de plus, et il risque de n’avoir pas même le bénéfice de ses faiblesses, d’être emporté à la première occasion. Ce qu’il a de mieux à faire, c’est de préciser et de limiter, dès son entrée au pouvoir, la politique qu’il veut suivre, de s’attacher avant tout aux affaires, aux finances, qui sont tout entières à réorganiser, aux réformes pratiques et réalisables, en évitant tout ce qui peut irriter les esprits et décourager les sentimens modérés, les hommes de bonne volonté assez disposés à lui prêter leur appui. Si ce n’est pas pour apaiser et déblayer la situation, en accomplissant quelques œuvres utiles, qu’il est venu, pourquoi donc est-il venu ? Rien n’indique encore que ce ne soit pas là sa pensée. Il a pu céder à la tentation de ne pas trop se brouiller du premier coup avec les radicaux, de faire sa petite concentration. Ce n’est là, pour le moment, qu’un détail secondaire de tactique.

En réalité, ce qu’il y a de bien autrement significatif et de nouveau dans le ministère qui se forme, c’est peut-être encore moins ce qui y est que ce qui n’y est pas. En d’autres termes, le trait le plus évidemment caractéristique du cabinet Rouvier, c’est l’éloignement, pour ne pas dire l’exclusion, de M. le général Boulanger, car enfin il faut voir les choses comme elles sont. Dans toutes ces négociations et ces intrigues qui se sont déroulées depuis quinze jours, il n’y a qu’une question. Cette longue crise se résume dans un seul fait : M. le général Boulanger sera-t-il ou ne sera-t-il pas ministre de la guerre ? C’est pour avoir voulu obstinément garder comme collègue M. le général Boulanger que M. de Freycinet et M. Floquet ont échoué dans leurs tentatives. Devant le général Boulanger, tout le reste s’efface, et c’est assurément une des plus bizarres singularités du temps que cette importance conquise on ne sait comment par un homme, par un soldat qui ne s’est popularisé ni par l’éclat des services ni par une carrière exceptionnelle, qui n’a su réaliser d’autre miracle que celui d’enchaîner à sa fortune une bruyante clientèle radicale. Que M. le général Boulanger, dans son passage aux affaires, ait fait son devoir de ministre, qu’il se soit