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se flatta de populariser son nom en Allemagne, en mettant la main au collet de l’ennemi juré de son maître et de sa patrie. Au degré d’irritation où le sentiment public était monté en Allemagne, cet excès d’audace n’a rien d’incroyable.

On peut juger quelles furent, pendant les mortelles journées de détention qui suivirent, les sentimens de Belle-Isle, encore plus mortifié qu’irrité de l’incident tragi-comique qui mettait fin à la reprise de ses espérances. Aucun des maux qu’il avait endurés, pas même les souffrances de Prague, ne le piquait au vif comme une mésaventure qui prêtait à rire. Aussi se mit-il tout de suite à l’œuvre pour épancher sa bile dans une série de dépêches adressées à Versailles, à Berlin et à Munich, où il racontait, avec sa verve et son éloquence accoutumées, les indignités dont il avait été l’objet, et conjurait tous les souverains de venger le droit des gens offensé en exigeant sa liberté immédiate.

Du roi de France directement atteint dans la personne de son ambassadeur, mais en hostilité ouverte avec l’Angleterre, il n’avait guère à attendre que des protestations impuissantes, qui iraient rejoindre le dossier des autres griefs déjà énumérés dans la déclaration de guerre. Il ne doutait ni de l’indignation ni de la sympathie de l’empereur, mais il se défiait de sa fermeté et de sa puissance. Frédéric seul, qui avait encore un ministre accrédité à Londres, où on tenait à le ménager, et qui ne plaisantait pas habituellement quand il s’agissait de faire respecter ses droits, pouvait apporter une intervention efficace. Belle-Isle ne négligeait, pour l’y presser, aucun genre de moyen oratoire. A défaut d’une affection sur laquelle, malgré beaucoup d’assurances, il ne pouvait compter qu’à moitié, il pressait Valori de faire valoir sans délai toutes les considérations d’amour-propre et d’intérêt qui pouvaient émouvoir le prince.

Après tout, n’était-ce pas dans l’enceinte d’une propriété prussienne que l’arrestation avait eu lieu et sous les yeux d’un employé qui portait la livrée des gens de la maison de Brandebourg ? Que ce maître de poste d’Elbingerode eût été complice de l’attentat, ou simplement coupable d’une indiscrétion imprudente, Frédéric pouvait-il souffrir qu’on se jouât ainsi de son nom ? « Je ne saurais trop exprimer à Sa Majesté, ajoutait Belle-Isle, combien est fâcheux et nuisible à la cause commune que je ne puisse pas avoir l’occasion d’entretenir le roi de Prusse. Je suis instruit de la volonté du roi et de ses projets, je le suis même de tous ceux de l’empereur, et j’aurais pu lui faire connaître jusqu’où se portaient la vivacité et la fidélité de Sa Majesté, les dépenses qu’elle fait, et d’autres articles plus importans encore les uns que les autres. »

Une fois la lettre écrite, on eut quelque peine à la faire partir, car Münnchausen, toujours inquiet de sa responsabilité, avait