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celle de Parsifal, sont d’origine française. Une autre prétention de Wagner, celle-ci plus digne d’intérêt, était de demander ses sujets toujours à la légende, jamais à l’histoire. A ses yeux, la tétralogie devait être la justification de cette loi; aux nôtres, elle en est la condamnation. Wotan, Freia, Fricka, Mime, Loge, Alberich, les géants et les nains, les nornes, Erda et Siegfried lui-même, le héros, sont des personnages par trop imaginaires, auxquels nous ne pouvons nous intéresser. De même, la donnée de Parsifal est si vague, si étrange, qu’un drame ainsi conçu tourne au mystère, à l’oratorio, parfois sublime, souvent inintelligible. Dans Lohengrin, au contraire, le merveilleux et le réel, l’élément surnaturel et l’élément humain, sont heureusement fondus : c’est un compromis entre le rêve et la vie, un coin du pays bleu, mais aperçu de la terre.

Très allemand, très peu français, le goût de Wagner pour la légende au théâtre peut se défendre par de hautes raisons d’esthétique. Notre collaborateur, M. Ganderax, écrivait récemment ici même, à propos d’un autre réformateur : « Il a constaté que le drame, après un demi-siècle à peine, était caduc : le public, les auteurs même reconnaissent la vanité de ce genre, où la peinture des passions et des caractères est sacrifiée à l’action... Eh bien! par-delà le drame, il fallait remonter jusqu’à la tragédie..., pour imiter son mépris de l’intrigue et son perpétuel souci du cœur humain. Peu d’événemens, et qui ne seraient point compliqués ; mais l’homme tout simplement, voilà derechef ce qu’on mettrait sur la scène. » Wagner aussi a cru constater, il a prononcé la déchéance d’une forme d’art : l’opéra, tel que les Auber, les Halévy, les Rossini, les Meyerbeer l’avaient fait. Lui-même, tenté un instant par l’idée d’un drame historique, Frédéric Barberousse, revint bientôt à la légende. Disciple, disait-il, des tragiques grecs, c’est dans la légende qu’il pensait trouver « l’homme tout simplement, » des sujets dégagés de toute intrigue un peu complexe et de toutes les péripéties qui ne font qu’entraver l’étude psychologique. Il savait le mot de Vauvenargues : «Tôt ou tard on ne jouit que des âmes;» — c’est aux âmes seules qu’il en voulait et que voulait se prendre sa musique. De plus en plus il a quitté le souci du monde extérieur, de l’histoire, de la nature, pour s’enfermer dans l’étude d’une crise passionnelle, unique matière de son œuvre. À ce point de vue, la conception de Tristan et Yseult serait la plus parfaite de Wagner. Elle l’était pour lui, elle l’est pour ses vrais disciples; il s’eu faut qu’elle le soit pour nous. Tristan, terrible résultat du système wagnérien poussé aux dernières limites! Tristan! analyse musicale en trois actes (et quels actes!) d’une rage d’amour, est par trop psychologique. Cet idéal : ne chanter que l’âme, Wagner, à force de le poursuivre, l’a pour ainsi dire forcé. La musique ne saurait, sans se perdre, pénétrer aussi avant dans les mystérieuses régions du sentiment. On ne disserte pas en musique,