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se dépensent pas en dehors de la science à laquelle ils se sont voués. Il en est même qui n’en cultivent qu’une branche. C’est le seul moyen d’arriver à un résultat utile. La division du travail est la loi des civilisations modernes, et quand les hommes se résignent à la subir, pourquoi les enfans ne feraient-ils pas comme eux? Pourquoi les contraindre à épuiser leurs forces, indifféremment et pêle-mêle, sur des encyclopédies tout à la fois écrasantes et superficielles? « L’unité absolue du type classique, tel qu’il a été compris depuis le XVIe siècle, dit M. Gréard, ne répond plus au développement du savoir et des idées. La diversité s’impose aujourd’hui à notre éducation, si l’on ne veut pas qu’à force de vouloir tout étreindre, elle arrive à ne plus embrasser rien du tout. La seule manière d’établir l’égalité entre les enseignemens, c’est de leur constituer leur domaine propre. »

Ces vues élevées, que l’éminent recteur de l’Académie de Paris a développées avec tant de talent dans ses remarquables études sur l’enseignement secondaire[1], ont depuis longtemps cours dans les hautes sphères de l’instruction publique. Le principe de la séparation est nettement formulé dans les arrêtés des 22 septembre 1847, 7 octobre 1848 et 17 septembre 1849. Il a été repris sous l’empire par M. Duruy, sous le nom de bifurcation, et n’a pas réussi; mais il a reçu, il y a vingt ans, sa consécration définitive. L’enseignement secondaire spécial a été organisé par la loi du 2 juin 1865, et son utilité a été si bien comprise par les familles que les élèves ont afflué, au début, dans les classes où cet enseignement était donné; mais l’extension exagérée qu’ont déjà reçue les programmes et certaines difficulté budgétaires ont entravé cet essor.

Il sera, je crois, nécessaire d’aller plus loin dans le sens de la division des études, et d’appliquer sans restriction le principe si nettement formulé, il y a quarante ans, par Saint-Marc Girardin : « Le temps est venu, disait-il alors, d’organiser dans les collèges des cadres d’enseignement, entre lesquels les élèves pourront se répartir, suivant les besoins de leur profession à venir[2]. »

Il me tarde de quitter ce terrain, qui n’est pas le mien, et c’est parce que je ne m’y sentais pas à l’aise que j’ai multiplié les citations, afin d’abriter mes opinions derrière l’autorité des grands noms auxquels l’instruction publique doit, depuis un demi-siècle, sa force et sa splendeur.

Ces hommes éminens n’ont pu que poser la question; c’est à leurs successeurs qu’il appartient aujourd’hui de la résoudre. Quant à

  1. Gréard, la Question des programmes dans l’enseignement secondaire. (Comptes-rendus de l’Académie des sciences morales et politiques, 1885.)
  2. Saint Marc Girardin, de l’Enseignement intermédiaire, 1847.