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O musique, soleil du monde intérieur,
Montre à mon bien-aimé tout le fond de mon être,
Qu’il puisse, au fond du sien me reflétant, connaître
Ce que j’ai de plus beau, ce que j’ai de meilleur!

Fais que par ta vertu sympathique éveillées,
Les fibres de son cœur répètent mon émoi.
Qu’il sente en lui frémir ce qui frémit en moi.
Que nos ailes enfin battent appareillées !



Alors, couple parfait, d’un vol harmonieux
Nous irons explorer l’infini côte à côte,
Du plus profond amour à la paix la plus haute,
L’infini du bonheur, impénétrable aux yeux !



Stella se tait. Au loin son regard semble lire.
Caressant d’une main qu’agile son délire
Les cheveux du jeune homme assis sur le gazon,
Et de l’autre attestant le sublime horizon.
Debout, la bienheureuse en extase s’arrête.
Puis, avec un sourire, elle penche la tête.
Sur sa poitrine croise et presse ses deux mains.
Et pour se préparer aux cantiques prochains.
Elle songe, et tout bas recueille sa pensée.
Puis d’une voix d’abord lentement cadencée.
Elle chante...

O merveille ! ô fête ! Hélas ! quels mots
Seront jamais d’un chant les fidèles échos?
Quels vers diraient du sien l’indicible harmonie?
Toute l’œuvre possible au langage est finie
Quand il a seulement fait signe au souvenir,
Symbole indifférent, impropre à contenir
Le moule et le miroir des choses qu’il doit rendre,
A qui n’en connaît rien il n’en peut rien apprendre;
Or, dans l’air d’ici-bas que seuls nous connaissons.
Jamais pareils transports n’émurent pareils sons.
Ah! ton art est cruel, misérable poète,
Nul objet n’a vraiment la forme qu’il lui prête;
Ta muse s’évertue en vain à les saisir,
Les mots n’existent pas que poursuit son désir;
Si beau que soit un vers par le souffle et le nombre,
La beauté qu’il décrit n’y laisse que son ombre.