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Une autre, puis une autre, en sonores fusées
Par temps égaux jaillirent de ce bois ;
Puis, d’un essor qui s’essayait, la voix
Préluda vaguement par roulades brisées.

Tu t’arrêtas, le doigt sur la bouche, et me dis :
« Le rossignol chante ! prêtons l’oreille. »
Avidement tu l’écoutais, pareille
A quelque ange en exil au seuil du paradis.

La nuit mélancolique achevait de descendre.
Et semblait sur le parc avec lenteur tomber
Comme d’un fin tamis une légère cendre.
En noyant les contours qu’elle allait dérober ;

L’écharpe du zéphir frissonnait sans murmure
Et molle s’affaissait sur les prés assoupis,
Le ciel, obscur enfin, couvrit la terre obscure
Comme un dais somptueux parsemé de rubis.

Et le chant déchira, plus large et plus sonore,
De l’azur assombri les voiles plus épais,
De monde en monde allant plus haut, plus haut encore,
Troubler de l’infini l’inaccessible paix.

L’étoile au cœur de feu qui tressaille et palpite
Paraissait écouter avec étonnement
La lyre si puissante et pourtant si petite
Qui vibrait au gosier de son terrestre amant.

Ah! que ces notes sanglotantes,
Ces beaux cris épars, où souffrait
L’oiseau blessé d’un mal secret,
Caressaient nos âmes, flottantes
Du vœu stérile au vain regret !

Nous pleurions, nous croyions entendre
Tour à tour triompher, gémir,
Douter, croire, espérer, frémir,
Dans cette voix vaillante et tendre,
Le genre humain prince et martyr.