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s’être élevée que pour jeter le trouble chez tous les peuples. Pour la Silésie recouvrée que ne donnerait pas Marie-Thérèse[1] !

Je ne vais assurément pas jusqu’à dire qu’il eût été ni loyal ni prudent de se précipiter sur de telles ouvertures, et, changeant de voie sans réflexion, de tourner bride aussi brusquement qu’on s’était engagé ; mais l’offre d’être mis au courant des pratiques secrètes de Frédéric n’était pas à dédaigner, ne fût-ce que pour se mettre en garde contre toute surprise et être en droit de retrouver à l’occasion, à l’égard d’un allié si peu fidèle, toute sa liberté d’action. Inutile précaution, suivant d’Argenson, qui non-seulement ne voulait rien croire, mais rien écouter ; aux avis qui lui arrivaient de toutes parts, il fermait obstinément les yeux. Quand les indices suspects devenaient trop avérés et que l’inquiétude traversait un instant son esprit, il recourait pour la calmer à un moyen suivant lui infaillible. Il interrogeait directement le ministre de Prusse, Chambrier, ou faisait interroger Frédéric lui-même par Valori ; les réponses qu’il obtenait ne manquaient jamais d’être satisfaisantes. Si un courrier était parti en hâte de Berlin pour Londres par La Haye, c’était, s’empressait-on de lui dire, pour insister de nouveau sur la mise en liberté du maréchal de Belle-Isle. Si le jeune Podewils ou Andrié s’étaient entretenus trop longuement avec les ministres hollandais ou britannique, c’était pour sonder le terrain et voir quelles bases on pourrait offrir pour une paix générale. Pleinement satisfait, d’Argenson écrivait alors : « Le roi de Prusse ferait mieux sans doute de ne pas faire d’ouvertures à La Haye, pour la paix ; ce rôle nous conviendrait mieux qu’à lui ; mais une vérité qu’il faut avouer, c’est que les démarches qu’il a faites pour la paix n’ont point eu le caractère de défection, et qu’il a, au contraire, paru vouloir marcher dans la plus étroite union avec le roi. Il écrit très souvent à Sa Majesté ; ses lettres sont remplies d’assurances de la fidélité à ses engagemens. Il est vrai que la vivacité de ce prince lui fait embrasser toutes les idées qui se présentent à son esprit, et qu’en conséquence il donne ses ordres avec légèreté et pétulance, et que l’empressement de ses ministres à les exécuter peut exciter des soupçons. Désabusez-vous d’aucune trahison de la part

  1. La Ville à d’Argenton, 16 février, 5-9-12 mars 1745 (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.) — Latouche, agent secret à Londres, 12-19-25 février, 2 mars 1745. (Correspondance d’Angleterre. — Ministère des affaires étrangères.) — Les ouvertures de l’agent saxon avaient même précédé la mort de l’empereur. — Les dépêches de l’ambassadeur de Venise à Vienne font voir que les offres de Frédéric étaient publiques dans cette cour, comme aussi le refus de Marie-Thérèse d’y accéder. 16-17 mars 1745.