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ces dissentimens particuliers auraient pu céder aisément à un intérêt plus général, et Frédéric eût été le premier à s’y prêter si le couronnement d’Auguste III fût entré à un degré quelconque dans les vues de sa politique. Par malheur, c’était précisément le contraire, et peut-être à Versailles aurait-on pu s’en douter, seulement en regardant la carte. Autant, en effet, il pouvait convenir à un roi de Prusse que le centre de l’empire fût à Munich, autant il devait peu lui plaire de le voir transporté à Dresde. Un électeur de Bavière, par la situation même et la dimension modeste de ses états, ne pouvait menacer la Prusse d’aucune agression, et, au contraire, devait constamment avoir besoin de son appui pour se défendre, soit de la France, soit de l’Autriche. Aussi Frédéric avait-il pris l’habitude de considérer Charles VII comme son client, plutôt que comme son suzerain. Mais il ne pouvait voir du même œil le souverain héréditaire de Saxe, souverain également de la Pologne (par élection à la vérité, mais le troisième pourtant de sa race qui eût régné à Varsovie). Cette double qualité faisait d’Auguste un monarque presque aussi puissant que l’héritier des margraves de Brandebourg. Placé en armes à la porte même de Berlin, tenant les clés de la conquête encore si récente et si précaire de la Silésie, il pouvait, pour peu qu’il fût appuyé de la Russie, prendre la Prusse par surprise, à la fois en flanc et à dos. Que ne devait-on pas craindre d’un tel rival, si à l’avantage de la position il joignait la supériorité du rang ? — « Nous aurions-là un furieux voisin, » disait le ministre Borck à Valori ; et Podewils, plus discret, ajoutait tout bas : « Du grand-duc ou de celui-là, je ne sais pas qui serait le plus redoutable pour nos intérêts. »

Frédéric, cependant, plus réservé que ses ministres, laissa moins éclater son déplaisir et se contint par une raison qui faisait honneur à sa prudence plus qu’à sa franchise. Il connaissait trop bien Marie-Thérèse pour ne pas prévoir qu’exaltée, comme elle devait l’être, par un événement qui comblait ses espérances, animée plus que jamais de ressentiment à la fois et d’ambition, elle serait peu disposée à l’admettre en grâce et n’y consentirait qu’en lui imposant des conditions humiliantes qu’il était décidé d’avance à ne pas subir. Il n’avait, de plus, nulle confiance dans l’énergie que déploierait, pour la contraindre à se montrer plus accommodante, le nouveau cabinet anglais encore très mal assis et sourdement contrecarré par son roi. La seule manière, par conséquent, qu’il eût de s’assurer le bon morceau qu’il convoitait, c’était de vendre à un prix élevé sa voix électorale au grand-duc. Mais cette denrée n’avait de valeur vénale qu’à la condition qu’il se présentât sur le marché un autre acheteur que le grand duc lui-même. Aux enchères politiques comme à toute autre, c’est la concurrence qui élève les prix. Il lui convenait donc,