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douloureusement d’Argenson. Pourquoi effrayer ? Cessons les injures, diminuons les craintes, et nous ramènerons la paix[1]. »

Ce qui prouve que d’Argenson ne comprenait pas aussi bien que le roi la conséquence du système dans lequel il voulait l’engager, c’est qu’au moment même où il proposait une ligne de conduite qui aboutissait directement à l’abandon de tous les alliés de la France, il n’en cherchait pas moins le moyen de continuer et même d’étendre son union avec les princes d’Allemagne. Un de ses premiers soins, en effet, fut de faire composer sous ses yeux une lettre destinée à la publicité, et censée écrite par un fidèle sujet de l’empire, pour presser tous les membres du corps germanique, au nom de l’intérêt de leurs libertés communes, de se resserrer autour du chef que l’élection leur avait donné.

Dans cet écrit, que nos archives conservent et qui porte la trace d’une plume exercée et parfois éloquente, la conduite et la personne de Marie-Thérèse sont qualifiées dans des termes d’une virulence qui n’annonçaient pas les pensées pacifiques dont le ministre était animé ; la verve poétique a évidemment entraîné l’écrivain et lui fait oublier, à tout moment, la modération officielle qui sans doute lui était commandée. « L’archiduchesse ! s’écrie-t-il, ravage la patrie, elle dépouille l’empereur de ses états héréditaires : elle remplit l’Allemagne de troupes qui ne connaissent de discipline que le brigandage. Et nous doutons encore si nous devons tous nous unir contre les Huns et secourir notre empereur et notre empire ! Princes et villes libres qui voulez continuer de l’être, réfléchissez sur ce qui s’est passé et sur ce qui nous menace, et voyez si l’union la plus prompte et la plus durable n’est pas l’unique moyen qui vous reste pour notre sûreté et pour votre gloire… » Ce n’est que vers la fin et dans la péroraison que le Français, déguisé en Allemand, paraît se souvenir qu’on l’a chargé, non de prêcher une croisade et la guerre à outrance, mais de disposer, au contraire, les esprits à une solution pacifique. — « De votre union, dit-il alors, dépend le bonheur de l’Europe ; .. par elle, les lois régneront à la place des armes, et nous verrons la félicité publique assurée depuis l’Elbe jusqu’au Tibre. C’est ce que tant de peuples, les uns à genoux, les autres les armes à la main, demandent à la reine de Hongrie, et cette paix nécessaire, à laquelle il faudra bien revenir tôt ou tard, n’est pas si difficile à faire qu’on pense : l’histoire des temps anciens et modernes en fournit de bons modèles. » Avant de livrer la pièce à la publicité, d’Argenson crut devoir la communiquer à un diplomate expérimenté, qui était de ses amis,

  1. Mémoires et Journal de d’Argenson, t. IV, p. 247-261.