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REVUE LITTERAIRE

SUR UN BUSTE DE RABELAIS.

A Meudon, — où il n’est point né, où il n’est pas mort, où peut-être il n’a jamais seulement résidé, — on a élevé l’année dernière un buste, en plâtre, de François Rabelais. Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’à cette occasion, selon l’usage, on a discouru, festoyé, banqueté. C’est notre manière en France d’honorer nos grands hommes, et surtout nos grands écrivains : ils ont pensé pour nous, et nous mangeons pour eux. N’ai-je pas lu dans les journaux que l’on mangerait encore ce mois-ci, que l’on se proposait de manger l’année prochaine, qu’une société enfin s’était formée pour manger tous les ans en l’honneur de Rabelais? Comme on mangeait déjà l’hiver, à Paris, en l’honneur de Molière, des mets choisis, on mangera donc désormais, à Meudon, au printemps, en l’honneur de Rabelais, des mets sans doute plus champêtres, tels que tripaille ou gaudebillaux. «Gaudebillaux, — pour que nul n’en ignore, — sont grasses tripes de coiraux; coiraux sont bœufs engraissés à la crèche et prés guimaux ; prés guimaux sont qui portent herbe deux fois l’an.» S’il est permis aux Moliéristes, à l’imitation de Molière lui-même, d’avoir l’estomac délicat, les Rabelaisiens doivent l’avoir plus robuste, moins difficile, et capable au besoin de digérer les pires crudités.

J’espère cependant, puisqu’ils ont tant fait que de former une société, que ces Rabelaisiens voudront aussi qu’il en sorte un jour quelque chose. Car, tout le monde par le de Rabelais, mais, en réalité, peu de gens l’ont lu jusqu’au bout, et je ne sache guère de grand écrivain dont la légende populaire ait plus étrangement défiguré la vraie physionomie. Si nous en avons de nombreuses éditions, et de fort belles,