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pour agrandir encore l’immense empire britannique, et, l’instant d’après, ils revêtent la robe longue pour dénoncer avec une pieuse indignation les intrigues ténébreuses et les menées criminelles de la Russie. Ils enseignent aux peuples étrangers le respect religieux du droit, et ils approuvent toute loi d’exception qui pourrait être votée contre l’Irlande. D’un bout du monde à l’autre, ils voient la paille qui est dans l’œil de leur prochain, et ils ne verront jamais la poutre qui est dans leur œil. Si quelque scandale arrive chez eux, ils disent : « Tout doux, pas de bruit !» — Et ils fulminent de solennels anathèmes contre les Gomorrhes et les Sodomes du continent. — « Il n’y a rien de si ridicule, disait lord Macaulay, que le public anglais dans ses accès périodiques de moralité. »

M. Whitman est de ces hommes qui ne rient jamais. Ce sombre pamphlétaire est aussi farouche que Jonas quand il fit le tour de Ninive en criant : « Encore quarante jours et Ninive ne sera plus! » M. Whitman est fermement convaincu que non-seulement ses compatriotes s’attirent l’inimitié des autres peuples par leur affectation de paraître meilleurs qu’ils ne sont, mais que leurs préjugés, leur cant, leur pharisaïsme, leur absurde respect pour de sottes conventions, sont de véritables calamités sociales et mettent en danger les destinées du Royaume-Uni. Cependant Jonas lui-même finit par s’attendrir, et sur les représentations l’Éternel, il consentit à faire grâce à Ninive, cette grande ville dans laquelle il y avait, sans compter les bêtes, plus de cent vingt mille créatures humaines qui ne savaient pas distinguer leur main droite de leur main gauche. En terminant son livre, M. Whitman se radoucit comme Jonas, et il déclare que la race anglo-saxonne est si forte, si saine, si merveilleusement douée, qu’il lui est impossible de désespérer de l’avenir de son pays. N’a-t-elle pas reçu du ciel, dans une plus large mesure que toute autre, les dons qui honorent l’espèce humaine, la bravoure magnanime, l’abnégation de soi-même, l’héroïque patience, « cette solidité de nerfs qui rend capable de triompher dans la bataille de la vie quand d’autres s’abandonnent et succombent?» A toutes ces vertus, elle joint la parfaite loyauté, the sense of fair-play, et M. Whitman nous apprend que l’Anglo-Saxon est le seul homme qui dédaigne de frapper son ennemi tombé à terre.

Cette race miraculeuse était visiblement destinée à devenir la lumière du monde. D’où lui viennent ses vices et ses maux? Des accidens fâcheux de son histoire, de la malice perverse de ses gouvernans et surtout de ses institutions. Que faut-il faire pour la rétablir dans l’intégrité de son heureux naturel ? Qu’on la débarrasse bien vite de son église établie. « qui a failli ignominieusement à sa tâche, » qu’on épure la chambre des lords, qu’on en chasse les évêques, qu’on supprime les majorats, qu’on s’applique à refondre les lois civiles, à modifier la distribution des richesses et de la propriété, qu’on rapporte toutes les