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seulement un insulaire, qu’il était une île. Grâce à la Manche, à la Mer du Nord, il peut tenir ses voisins à distance, il ne sent pas leurs coudes, et il ne dépend que de lui de considérer tour à tour l’Angleterre comme une partie de l’Europe ou comme un monde à part. Aussi garde-t-il en toute rencontre son hautain quant à soi, et c’est par pure condescendance qu’il consent à s’intéresser quelquefois aux affaires des autres peuples.

Cet océan qui, jour et nuit, monte la garde autour de l’Angleterre, la préserve de beaucoup d’embarras, de beaucoup de dangers. Quand elle rêva jadis de s’étendre sur le continent, elle connut ces décevans triomphes que suivent les grandes catastrophes. Depuis que, renonçant aux vaines entreprises, elle a consacré toutes ses ressources, tous ses efforts à conquérir l’empire des mers, elle ne se mêle des affaires de l’Europe que lorsque ses intérêts le lui commandent, et selon les cas, tantôt elle s’applique à y maintenir la paix, tantôt elle souffle sur des tisons trop lents à s’enflammer, et souvent elle trouve son bonheur dans le malheur d’autrui. Le philistin anglais attribue volontiers à son mérite, à sa vertu, à sa haute raison, à son infaillible bon sens, les avantages dont jouit son île natale et dont elle est surtout redevable aux bienveillantes dispensations de la nature ou aux faveurs de la fortune. Les calamités, les désastres qu’essuient les autres peuples lui inspirent une orgueilleuse pitié ; il tient les malheureux pour des pécheurs qui ont attiré sur eux la colère céleste, et comme le pharisien de l’évangile, la narine gonflée, croisant ses larges mains sur sa puissante poitrine, il s’écrie : « Seigneur, je te remercie de ce que les Anglo-Saxons ne ressemblent pas aux autres hommes ! »

Il y a plus de huit cents ans que l’Angleterre n’a pas connu le fléau d’une invasion étrangère, et, depuis deux siècles, elle est le seul pays qui ait été à l’abri des révolutions intérieures. C’est encore un sujet d’orgueil pour le philistin anglais ; il est fier de la durée de ses institutions comme s’il les avait inventées. — « Nous nous consolons de beaucoup de choses, dit M. Whitman, par la pensée que nous possédons l’inestimable avantage d’une constitution qui, fondée dans les âges les plus reculés, a su s’accommoder heureusement de siècle en siècle aux exigences des temps nouveaux par l’action persévérante d’un peuple aussi libre qu’éclairé. » Comment le philistin ne serait-il pas lier de sa constitution ? Tous les publicistes du continent l’ont vantée à l’envi, et il n’est guère de peuple qui n’ait tenté de l’introduire, de l’acclimater chez lui.

Ces essais ne furent pas tous heureux, quelques-uns ont misérablement échoué. Le philistin se rengorge en pensant que toutes les autres nations cherchent encore, que l’Angleterre seule a trouvé, que seule elle p0ssède cet esprit de conduite et ces vertus civiques qui font prospérer les états. Les historiens qui flattent sa manie, reportant très haut dans le