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Le 21 octobre, sous prétexte d’une revue, 3,000 hommes d’infanterie, une batterie de montagne, 700 chevaux du 2e chasseurs d’Afrique, 400 spahis, 500 Douair et Sméla étaient rassemblés au Figuier. Dans la nuit, La Moricière les porta rapidement sur le haut Tlelate. Il devait y avoir là, d’après le capitaine Daumas, un grand campement de Gharaba et de Beni-Amer, sous les ordres de leurs aghas Ben-Yacoub et Sidi-Zine. La surprise, au point du jour, fut complète et le butin énorme : un millier de bœufs, 3,000 moutons et chèvres, 60 chevaux, 30 chameaux, 300 ânes, de l’orge, des poules, du blé, des lentes, des tapis, des bijoux, des boudjous, etc. Les femmes de Ben-Yacoub avaient été prises ; l’agha offrit de payer largement leur rançon, à condition qu’elles n’eussent pas subi d’insultes ; autrement il les abandonnait « pour être salées et mangées. » C’était, selon le capitaine Daumas, l’expression courante chez les Arabes en pareil cas. Le 2 novembre, visite de la colonne mobile aux silos des Beni-Amer; le Set le 9, visite aux silos des Gharaba. Dans cette dernière affaire, il y eut un assez vif engagement à l’arrière-garde. A la tête d’un escadron de chasseurs d’Afrique, côte à côte avec le général de La Moricière, le colonel de Maussion, son chef d’état-major, tomba frappé de trois balles, en pleine charge. « Nous avons perdu un homme qu’on ne remplacera jamais ici, écrivait, quelques jours après, le capitaine de Montagnac; il emporte non-seulement les regrets de l’armée, mais encore ceux de toute la population. Le colonel de Maussion est mort au bivouac, deux heures après avoir été blessé; le 11, nous l’avons enterré. Les derniers adieux à cet honnête homme ont été touchans, et quelques paroles prononcées sur sa tombe par le commandant de Crény ont fait couler bien des larmes. » Ce fut le lieutenant-colonel Pélissier qui prit l’emploi de chef d’état-major de la division d’Oran.

La guerre ne donne pas de loisir aux longs attendrissemens, et ceux qu’elle passionne lui pardonnent ses rigueurs en faveur de ses mâles jouissances. Encore et sincèrement ému de la mort héroïque du colonel de Maussion, le capitaine de Montagnac esquissait d’une plume allègre, en dilettante, le combat du lendemain : « Il faisait un temps superbe, le soleil était brillant ; le terrain, pas trop accidenté, laissait apercevoir tous les mouvemens des deux partis. Ces nuées de cavaliers, légers comme des oiseaux, se croisant, voltigeant sur tous les points, ces hourras, ces coups de fusil dominés, de temps à autre, par la voix majestueuse du canon, tout cela présentait un panorama délicieux et une scène enivrante. Il paraît que demain nous allons nous mettre encore en course. Le petit La Moricière ne nous laisse pas beaucoup de repos, et il a raison, s’il veut avoir des troupes aguerries et faites à la fatigue pour les expéditions du printemps prochain. »