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singulière, mal définie. » Cela ne veut point dire assurément que l’ordre règne en Europe, que toutes les causes de conflits aient disparu et que, dans ce calme relatif où nous revenons par degrés, il ne puisse y avoir encore de ces incidens que les polémistes à outrance se plaisent à envenimer, comme on l’a vu tout récemment. Ce n’est que la paix provisoire, si l’on veut, la paix menacée par les défiances et les soupçons, toujours prompts à se réveiller ; mais enfin, c’est la paix. Le danger des grands conflits est tout au moins écarté. On ne parle plus de la qui relie, en effet « singulière, mal définie, » d’autant plus redoutable peut-être qu’elle n’était pas définie, qui allait allumer la guerre entre la France et l’Allemagne. S’il y a eu un moment une certaine tension de rapports entre la Russie et l’Autriche, cette tension a sensiblement diminué. Tout a cédé devant la résolution calme et réfléchie des principaux gouvernemens de l’Europe, qui, avec tous leurs arméniens, à la vérité peu rassurans, ne sont pas pressés de se jeter les yeux fermés dans les luttes sanglantes. La seule question qui pourrait toujours servir de prétexte, qui garde sans nul doute son importance tant qu’elle n’est point résolue, c’est cette question bulgare, qui reste comme une menace à l’orient de l’Europe. Qu’en sera-t-il de cette malheureuse affaire de la Bulgarie ? Comment arrivera-t-on à remettre un peu d’ordre et de paix dans cette triste région des Balkans ?

Que les Bulgares parlent sans cesse de leur indépendance, qu’ils réclament le droit de disposer d’eux-mêmes, de s’organiser comme ils l’entendront, de choisir le prince appelé à les gouverner, c’est fort bien en théorie, c’est un beau principe. Malheureusement, en jetant leur pays dans cette série de révolutions qui se sont succédé depuis deux ans, ils n’ont rien calculé, ni ce qu’ils pouvaient, ni ce qu’ils devaient aux puissances qui ont donné la vie à la principauté nouvelle. Ils ont trop cru qu’ils pouvaient s’affranchir des traités, qu’ils seraient toujours soutenus. Vainement ils ont été avertis, ils n’ont rien écouté ou ils se sont peut-être trop fiés à de dangereux conseils. Ils ont fini par se faire une situation qui n’est, à vrai dire, qu’une indéfinissable et désastreuse anarchie. Cette régence qui s’est créée elle-même à la suite du départ du prince Alexandre de Battenberg, devenu impossible devant l’animadversion déclarée de la Russie, cette régence de Sofia ne se soutient que dans les conditions les plus précaires, les plus disputées, en ayant sans cesse recours à la violence des répressions sommaires, contre des conspirations toujours renaissantes. Ce n’est pas un gouvernement, c’est une dictature mêlée de convulsions anarchiques, et lorsque, ces jours derniers encore, la régence, à bout d’expédiens, imaginait de provoquer ou de favoriser une sorte de mouvement populaire pour le rappel du prince Alexandre, elle devait bien savoir qu’elle ne faisait que compliquer la situation en proposant la plus irréalisable de toutes les combinaisons. C’était une tentative sans espoir