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grèves, au risque de préparer la ruine du travail national et des ouvriers eux-mêmes, réduits à n’être plus que les instrumens des agitations anarchiques. Avec la meilleure intention de maintenir le budget des cultes, de mettre fin aux guerres religieuses, on vote ou on laisse voter pour ceux qui suppriment les crédits ecclésiastiques, qui veulent empêcher le recrutement du clergé, qui ne voient dans la séparation de l’église et de l’état qu’un moyen d’oppression de plus. On vote pour ceux qui ont poursuivi la désorganisation de la magistrature, qui préparent la désorganisation de l’armée, pour ceux qui demandent la mairie centrale de Paris avec la commune légalement constituée. On se prête à tout, on subit les alliances les plus compromettantes, en rêvant toujours de revenir à la politique modérée, d’être des hommes de gouvernement ! L’erreur de ces républicains est de ne pas accepter les conséquences d’une position nette. M. Clemenceau le leur a dit plus d’une fois, et particulièrement encore l’autre jour, en termes assez pressans qui se réduisent à ceci : il faut choisir ! Si on veut un gouvernement modéré, on ne peut le faire qu’avec les modérés ; si on accepte le gouvernement républicain comme le veulent les radicaux, il faut le faire avec les radicaux et ne point marchander sans cesse avec eux. En dehors de cette alternative, il n’y a que confusion et équivoque.

Le plus curieux en tout cela est que les républicains prétendus modérés ou hommes de gouvernement qui suivent cette étrange tactique de céder aux radicaux se résignent le plus souvent sans conviction à ce qu’ils ne croient pas pouvoir empêcher, et qu’en gémissant de leurs propres faiblesses, ils s’en font un grief contre les conservateurs, qu’ils accusent de tout le mal. Ce sont les conservateurs qui sont un obstacle aux meilleures intentions, qui refusent de se prêter à ce qui pourrait être utilement tenté pour redresser la marche des affaires publiques, qui rendent tout impossible par leur irréconciliable hostilité contre le régime sous lequel les événemens ont placé la France ! C’est leur faute s’il y a des crises ! C’est leur faute si les républicains modérés sont rejetés sans cesse vers les radicaux ! Ils sont responsables de tout ce qui arrive ! C’est une manière commode de trancher les questions les plus délicates. Sans doute, parmi les conservateurs, il est des hommes qui, par leurs convictions, par leurs engagemens, ou même, si l’on veut, par leurs passions, sont des adversaires avec lesquels il serait difficile de s’entendre, qui ne se proposent probablement pas de travailler à la prospérité de la république. Il en est beaucoup d’autres, et peut-être le plus grand nombre, qui ne sont pas des ennemis systématiques et irréconciliables, qui ne demanderaient pas mieux que de se prêter sans arrière-pensée aux transactions nécessaires, de mettre avant tout le pays. Et ceux-là mêmes, que fait-on pour les rallier, pour s’assurer le concours de leur bonne volonté et de leur zèle dans la mesure des opinions qu’ils représentent ? M. le président du conseil offrait plaisam-