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d’un excellent ouvrage étranger. A plus forte raison, Herder condamne la fureur d’imitation qui avait si longtemps régné en Allemagne. Les uns, s’attachaient à des modèles français, d’autres à De Foë ou à Richardson, d’autres enfin à la poésie grecque ou orientale. Tout cela est artificiel, sans chaleur, sans âme, mort avant d’avoir vécu. Quoi de plus désolant qu’une imitation allemande de la Henriade ? « Quand le public allemand, s’écrie Herder, cessera-t-il d’être ce monstre à trois têtes de l’Apocalypse, à la fois grec, français et anglais? Quand prendrons-nous la place qui revient à notre peuple? Il n’y a qu’un coup de sonde à donner dans le sol allemand, et la poésie nationale en jaillira. » Déjà les Chants de guerre d’un grenadier prussien, de Gleim, ont ravi Herder. Gleim avait célébré en quelques odes, fort médiocres du reste, les victoires de Frédéric II dans la guerre de Sept ans. Herder avait trop de goût pour ne pas estimer Gleim à sa juste valeur. Mais c’est un premier essai qu’il veut encourager. Le patriote se substitue ici au critique, et son indulgence prend le ton de l’enthousiasme. Il avoue sans détour sa partialité pour un écrivain allemand qui n’imite pas. Évidemment il continue l’œuvre de Lessing. Il veut déblayer le terrain, il veut le débarrasser de toute la végétation parasite qui l’encombre et empêche le bon grain de lever. Il juge malheureuse l’idée de fonder de toutes pièces un théâtre allemand sur le modèle de notre théâtre classique ; car ce qui convient à des Français ne convient précisément pas à des Allemands. Si l’Allemagne doit avoir un théâtre, elle le produira d’elle-même. Et, comme Lessing, Herder estime que Gottsched a fait plus de mal que de bien à la littérature allemande.

Si Herder s’était borné, comme tant d’autres, à protester contre l’imitation servile des modèles français ou anglais, s’il avait pris simplement la défense du génie national méconnu par les Allemands eux-mêmes, sa critique n’aurait rien eu de bien original. Elle a été féconde, au contraire, parce que Herder ne s’en est pas tenu là. Il est remonté jusqu’au principe de toute poésie, il l’a étudiée dans son origine et dans son essence. Il a tiré des conséquences inattendues de la grande maxime de Rousseau, qui avait été accueillie en Allemagne avec tant de faveur. « Revenons à la nature, source de toute bonté et de toute vérité. » S’il en est ainsi, et si chaque peuple a comme les individus un caractère qui lui est propre, tout ce qui sortira spontanément de son génie, tout ce qui en sera la floraison naturelle ne saurait manquer d’être bon ; tout ce qui provient de l’imitation réfléchie n’échappe pas à la médiocrité, et, à vrai dire, ne compte pas. Faute de comprendre cette vérité si simple, la littérature allemande restera une collection de pastiches plus ou moins ingénieux, qui, n’étant point sortis des entrailles de la nation, ne