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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.


pontificalis a raison de dire que les papes ont été les véritables conquérans de l’Angleterre et de la Germanie, et ces deux phrases, rapprochées l’une de l’autre, résument une grande histoire : l’Angleterre devenue romaine, au temps de Grégoire Ier, a engendré un Anglo-Romain, Boniface, qui, au temps de Grégoire II, a donné la Germanie à la papauté.

I.

Toute la vie de Boniface témoigne de la puissance exercée par la religion et par la papauté sur les âmes des Saxons d’Angleterre. Orgueil de la naissance, du rang et de la richesse, amour filial, attachement au sol natal, elles ont tout effacé : reste le catholique, c’est-à-dire le membre de l’église universelle et le serviteur du chef de cette église. Boniface, qui s’appelait Winfried, a répudié son nom pour en prendre un de forme latine et il a renié sa famille. Né vers 680 à Kirton en Wessex, il était très aimé de ses parens, qui étaient nobles et riches ; sa mère « l’allaitait de sa sollicitude ; » son père, qui le préférait à ses autres fils, voulait lui léguer tous ses biens, mais l’enfant ne ressentait que de l’aversion pour les choses de la terre, et, un jour que des prêtres entrèrent dans la maison paternelle pour y prêcher, comme c’était la coutume du pays, il sentit s’éveiller en lui la vocation de la vie religieuse. Le biographe de Boniface raconte la lutte du fils contre le père, qui employait, « pour l’attirer vers la mollesse des jouissances séculières, la frauduleuse habileté de la ruse humaine. » Heureusement « la miséricorde divine » intervint : elle envoya au père une maladie mortelle, et à l’homme de Dieu, privé de son père charnel, suivit son père adoptif, le Rédempteur ; il renonça aux gains terrestres pour acquérir la récompense de l’éternel héritage, et, selon la parole de la vérité, il laissa son père, sa mère, ses champs et tout ce qui est du monde, pour gagner le centuple et posséder la vie bienheureuse. »

Boniface apportait au monastère « une anxieuse aspiration vers les saintes études des lettres. » Ces études étaient très compliquées. Un abbé de ce temps nous en a laissé le programme dans une lettre où il s’excuse de ne pouvoir aller passer auprès d’un évêque les fêtes de Noël. Il n’a pas trop de temps, dit-il, pour la lecture, car il lui faut pénétrer jusqu’à la moelle le droit romain, scruter jusqu’au dernier fond les décrets des jurisconsultes, et, chose plus ardue, discerner par des règles certaines les cent espèces de mètres. Une lettre ne suffirait pas pour exposer tous