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LE PATRONAGE DES LIBÉRÉS.

dans un des bâtimens qui lui appartiennent, et le budget inscrit au profit de la Société de patronage une somme importante qui cependant ne représente pas l’équivalent de la moitié de la dépense. En cette circonstance, le gouvernement se montre intelligent et généreux ; on serait mal venu de ne point se trouver satisfait.

La charité privée, qui semble inépuisable en notre bon pays de France, n’a pas refusé son offrande, mais elle est restée au-dessous des besoins, car la dépense s’est, en 1886, élevée après de 80,000 francs. La somme est considérable, mais en apparence seulement, et pour ne pas dépenser davantage, il a été nécessaire de ne reculer devant aucune économie. La société est donc très pauvre et par cela même forcée de se réserver plus qu’il ne convient. L’aumône ne lui a pas manqué, je viens de le dire, mais elle a été restreinte ; on dirait qu’elle a hésité et qu’elle s’est volontairement modérée à cause du genre particulier de misère qu’on lui demandait de secourir. Des criminels, des détenus, des libérés, des hommes qui portent en eux la honte ou la révolte de la prison, est-ce donc si intéressant et n’existe-t-il pas d’autres sujets de commisération et de générosité ? Je sais ce que l’on peut dire à cet égard ; mais, si l’offrande que l’on réclame est en quelque sorte une prime d’assurance contre le méfait ; si elle doit, non pas éteindre, mais amoindrir en partie cette terrible plaie sociale qui est la récidive ; si elle aide à pousser vers l’amélioration des êtres qu’une heure de faiblesse ou même de perversité a perdus ; si, par suite de l’expérience subie, elle rend des forces à celui qui n’avait pas appris à les respecter, n’est-elle pas mile, n’a-t-elle pas le double caractère sacré de secourir l’infortune et de favoriser le relèvement moral ; n’a-t-elle pas de quoi tenter les grands cœurs ?

Les hommes de bien qui se sacrifient à cette œuvre où tant de difficultés ne les arrêtent pas, où si souvent leur récompense est faite de déception, représentent assez fidèlement ces frères de la Merci qui jadis allaient racheter les captifs dans les états barbaresques. Ils font effort pour délivrer le détenu de ses mauvais penchans et pour rédimer le libéré de ses vices. Ils ne leur parlent que des choses immédiates : « Demain, si vous ne travaillez, la faim vous saisira et vous volerez pour vivre ; travaillez, et la facilité même de votre existence vous ramènera à la probité, qui toujours vous sera plus avantageuse que les actions prohibées. » Beaucoup ont écouté ces paroles et n’ont eu qu’à s’en applaudir ; mais combien plus en auraient profité, si la Société de patronage, au lieu d’être, pour ainsi dire, confinée dans Paris, voyait accroître ses ressources et pouvait rayonner sur la province, avoir une succursale dans tout chef-lieu de département, se mettre ainsi en rapport avec les réclusionnaires sortant des maisons centrales et avec les libérés quittant