Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/872

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
866
REVUE DES DEUX MONDES.

faute : ni l’éducation, ni l’aisance, ni l’exemple des vertus héréditaires de la famille ne peuvent sauver des natures faibles que le vice sollicite et qui, de chute en chute, finissent par tomber entre les quatre murs d’une cellule. On ose à peine dire que des gens de bonne condition, qui ont vêtu la toge du magistrat, ceint l’écharpe du commissaire de police, porté l’épée de l’officier, ont été heureux de pouvoir s’abriter et reprendre haleine rue de la Cavalerie : « Les destinées du joueur sont écrites sur les portes de l’enfer, » disait Moessard à Frédéric Le Maître, dans le drame fameux de Dinaux et de Victor Ducange ; elles sont également écrites sur la porte des prisons et sur celle des asiles qui accueillent les libérés, car il n’est pas rare que l’on se déshonore à jamais pour acquitter ce qu’on nomme une dette d’honneur : « manger la grenouille, » selon l’expression du régiment, c’est bien souvent commettre un abus de confiance afin de pouvoir réparer une étourderie. N’est-on pas trop sévère dans bien des cas, et ces sortes d’affaires, que la jeunesse et le respect humain mal compris rendent jusqu’à un certain point excusables, ne devraient-elles pas être soustraites à la justice et confiées à l’appréciation paternelle d’un chef militaire ? Il y a longtemps, bien longtemps, un aspirant de marine commit un larcin pour aller « courir bordée » et se donner quelque plaisir. L’aventure fut découverte et cachée dans l’intérêt même du corps, de si hautaine probité, auquel appartenait ce malheureux. Ses camarades lui infligèrent une sorte d’expiation de famille ; il s’y soumit. Sa conduite et sa bravoure le relevèrent bien au-delà de sa mauvaise action. Il fut un des grands hommes de mer dont la France garde le souvenir : il est mort amiral et son nom est attaché à l’une de nos victoires navales. Nil desperandum doit être la devise de ceux dont l’intérêt se porte sur la jeunesse qui a failli.

Un danger permanent menace les hommes de cette catégorie, sur lesquels la justice a posé la main et qui, par l’assiduité au travail et la régularité de l’existence, sont sortis du bourbier. C’est l’indiscrétion des tiers, le bavardage des imbéciles sans cœur et souvent « le chantage » d’un ancien camarade de préau. Un garçon jeune, intelligent, était employé caissier ; il se rendit coupable d’un détournement de fonds. Arrêté, jugé, puni, il demanda secours au patronage, qui, reconnaissant en lui les indices d’une résolution vigoureuse, le pourvut d’un métier, d’un très humble métier, près d’un patron auquel rien ne fut dissimulé. Il ne recula devant aucune tâche, si répugnante qu’elle fût, et témoigna d’aptitudes telles qu’il s’éleva peu à peu et devint l’associé de la maison où il servait. Tout était pour le mieux et la vie se rouvrait devant lui. Le moment de faire ses vingt-huit jours de service militaire arriva. Il n’était pas au logis lorsque le gendarme se présenta ; celui-ci remit le livret chez