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LE PATRONAGE DES LIBÉRÉS.

être rentré ; il reçoit son repas, repas substantiel, bien supérieur à celui de la prison, et où la viande, en portion suffisante, est régulièrement servie six fois par semaine. Jusqu’au repas du soir, sept heures, le séjour à la maison et le travail sont obligatoires ; à huit heures et demie, coucher ; à neuf heures, extinction des feux. Ce n’est point l’emprisonnement, ce n’est pas la liberté complète ; c’est un état intermédiaire qui offre le travail, le repos et la sécurité.

On a vu que les libérés doivent, chaque matin, aller à la recherche d’un emploi ; on fait de la sorte appel à leur initiative, on les invite à se débrouiller eux-mêmes, et, lorsqu’ils réussissent, on obtient un double avantage : d’une part, on n’a pas été contraint, par obligation de conscience, de révéler les tares d’un passé peu irréprochable ; d’autre part, on sait que l’homme se maintient volontiers plus longtemps dans le poste qu’il a choisi lui-même que dans celui qu’on lui a procuré. Le travail auquel on est astreint dans l’asile est enfantin et rappelle celui de la prison : à des hommes de tous métiers, on ne peut imposer qu’un métier facile et qui s’exerce promptement sans apprentissage. J’ai vu faire du cartonnage de dernière catégorie, boîtes molles pour les insecticides, les dentifrices : et autres poudres de perlimpinpin. Le travail n’est pas rémunérateur ; un bon ouvrier, de midi à six heures, peut gagner 0 fr. 80, dont la moitié forme sa masse et l’autre moitié entre en décompte des frais que nécessite sa présence à l’asile. Il est fâcheux qu’on ne puisse les occuper à une besogne sérieuse, mais cela est impossible ; comment faire concourir à un travail commun des serruriers, des maçons, des comptables, des peintres en bâtimens, des charretiers et des débardeurs ? C’est déjà beaucoup d’obtenir de certaines mains assez d’adresse et de flexibilité pour ne pas mettre en pièces les bandes de carton qui leur sont confiées. Lorsque les commandes font défaut, ce qui est le cas de l’heure actuelle, le chômage inutilisé ces malheureux et les réunit, désœuvrés et bâillans, autour du poêle en fonte du réfectoire. Quelques-uns lisent, d’autres causent à voix basse ; il y en a qui rêvassent, seuls, dans un coin, comme s’ils écoutaient les pernicieux conseils de l’oisiveté. Sur certains visages, on peut remarquer des expressions qui n’ont rien de rassurant pour l’avenir et qui seraient inquiétantes si l’on ne savait que la physiognomonie est une science fertile en erreurs.

Le régisseur de l’asile en est le pourvoyeur ; il reçoit par jour et par homme 1 franc, à l’aide duquel il doit nourrir ses pensionnaires, en se conformant à des menus déterminés d’avance, il a la haute main sur les libérés, et il remet à chacun d’eux une carte sur laquelle sont inscrites les conditions qu’il faut faire connaître, car elles prouvent que le patronage entend n’être point dupe de son bon vouloir et ne pas dépenser ses efforts en pure perte :