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LE PATRONAGE DES LIBÉRÉS.

factures à recouvrer ; il a « une belle main, » on lui donne la correspondance à faire ; il est bon comptable, on l’associe au travail du caissier ; un lundi matin, il ne paraît pas ; on le croit malade, on envoie à son domicile, il n’y a pas paru depuis deux jours ; on vérifie la caisse, elle est en déficit. La tentation a été trop forte ; l’ancien coupable mal converti a succombé, par sa faute, ceci n’est point discutable, mais aussi par celle du patron, qui n’a pas eu la prudence de le défendre contre lui-même. Ce cas de récidive se présente souvent ; celui qui le commet est coupable de n’avoir pas lutté avec courage contre les sollicitations de sa faiblesse, mais il est bien un peu victime de ces sottes conventions sociales qui imposent à un petit employé l’obligation d’avoir la tenue d’un « monsieur, » de sorte que, pour lui, le superflu devient le nécessaire. Regardez passer dans la rue un commis de nouveautés et un millionnaire ; ce n’est pas toujours celui-ci qui est le mieux vêtu et le plus élégant : mauvaise égalité que celle-là et qui a conduit bien des détenus en police correctionnelle. Elle n’est pas seulement dangereuse pour les malheureux qui portent le poids d’un passé pénible, qui ont sérieusement tenté de le faire oublier et qui n’ont pas eu la force de résister à des entraînemens mesquins, elle nous rejette au temps du baron de Fœneste, où u pour paraître » était le mot d’ordre ; elle ne ménage point les privations à ceux qui ne savent se soustraire à ses exigences et qui sacrifient tout à l’apparence extérieure. Est-elle de date récente dans notre pays et ne serait-elle pas un défaut même de notre caractère national ? Nos grands-pères disaient : « Habit de soie, ventre de son ; » et un personnage d’une comédie de Ponsard a réveillé les souvenirs de plus d’un spectateur lorsqu’il a dit :


Et je n’ai pas dîné pour acheter des gants.


III. — LES HOMMES.

Au début, lorsque l’œuvre vagissait encore et qu’elle était sans sécurité sur ses destinées, elle a fait plusieurs expériences qui lui ont permis d’améliorer ses procédés de sauvetage. À cette époque, lorsqu’un libéré venait lui demander secours, elle l’envoyait prendre gîte dans un des nombreux garnis avec lesquels elle était entrée en relation, car elle ne possédait aucune maison où elle pût abriter ses cliens. Cet état de choses était défectueux, car les garnis de bas étage et le préau des prisons, c’est tout un ; le vice, sinon le crime, s’y recrute, et l’âme mal affermie qui s’y aventure y peut trouver sa perte. Là, plus que partout ailleurs, l’ancien détenu, qui cherche à sortir de la fondrière où il s’est embourbé, s’entend dire :