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compliment fait du bout des lèvres à un émule qu’il jugeait, au fond, si peu digne de lui être comparé, n’était pas sans doute ce qui mortifiait le moins son orgueil.

« Enfin, remarque Valori dans ses mémoires, ce prince justifia, par sa manière de penser et d’agir, qu’il n’appartient qu’à l’adversité de corriger les hommes de leurs défauts ; il eut moins de présomption, il écoutait : ses réponses étaient plus douces et moins tranchantes. Il n’y eut personne qui ne s’en aperçût. Il venait d’essayer ses premières traverses. La touche était un peu forte, et il parut s’apercevoir du besoin que les hommes ont les uns des autres[1]. »

À ces bonnes dispositions assez inattendues, Valori fut heureux de pouvoir répondre, sans tarder, par l’annonce d’une nouvelle très propre à les entretenir. La cour de France, partageant les inquiétudes de son ministre et sentant le besoin de ménager un allié dont l’humeur inégale pouvait lui fausser compagnie à tout instant, s’était décidée à lui députer encore un envoyé extraordinaire.

Le but de cette mission était de combiner avec lui, pour la campagne prochaine, un plan d’opérations de nature à réparer les maux de celle qui finissait si tristement, et aucun nom ne pouvait lui être plus agréable que celui que Valori dut lui faire connaître ; car ce n’était autre que le général, le diplomate que Frédéric n’avait cessé de désigner comme le seul qui connût l’Allemagne et fût en état, aussi bien sur le champ de bataille que dans les conseils des princes, de s’y comporter convenablement ; mais c’était aussi celui qu’on accusait en France d’avoir subi trop facilement l’influence du jeune vainqueur et le charme de son génie, et que, par cette raison, on hésitait à rapprocher de lui. C’était, en un mot, le maréchal de Belle-Isle lui-même. On peut juger avec quelle satisfaction le prince entendit annoncer sa venue, et il témoigna tout de suite une grande hâte de voir arriver son ancien ami. Du reste, il n’avait pas longtemps à attendre, car Belle-Isle lui-même, n’ayant pas perdu de temps, s’était déjà mis en route. Ainsi le héros de Prague rentrait en scène, on va voir dans quelles déplorables conditions et par quelle triste aventure[2].


Duc De Broglie.

  1. Valori à d’Argenson, 15 décembre 1744. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Frédéric à Louis XV, 18 décembre 1744. — Pol. Corr., t. III, p. 342. — Valori, Mémoires, t. II, p. 204.
  2. La correspondance de Frédéric montre que le voyage de Belle-Isle était déjà en projet et très désiré par lui depuis la fin du siège de Fribourg, mais il ne fut tout à fait décidé qu’à la fin de novembre, et Frédéric ne dut en être informé avec certitude qu’à son retour à Berlin.