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sûr de sa supériorité numérique, pouvait être tenté de l’accepter. Et, de fait, si le prince Charles n’eût écouté que l’ardeur de son armée et les instructions impérieuses qu’il recevait de Vienne, ne fût-ce que pour éviter le reproche d’inertie et de timidité que lui prodiguait Marie-Thérèse, il aurait probablement commis cette imprudence. Mais le maréchal Traun mit à l’en préserver par de sages avis une obstination vraiment méritoire. Une fois entre autres, les deux armées passèrent la nuit si près l’une de l’autre que tout le monde dans les deux camps se croyait à la veille d’un conflit. Mais le lendemain, au point du jour, les Autrichiens ne bougeant pas, Frédéric, surpris de leur immobilité, vint lui-même reconnaître leurs positions et dut se convaincre qu’elles étaient inabordables. Il se retira très désappointé.

Le jeu pourtant pouvait se prolonger indéfiniment, tant que les Prussiens restaient maîtres du cours de l’Elbe ; car ce fleuve coulant presque en ligne droite de Pardubitz jusqu’au point assez rapproche de Prague, où il vient recevoir la Moldau, qui traverse cette cité, c’était une barrière naturelle que les Autrichiens avaient à franchir pour opérer la manœuvre de séparation dont ils attendaient le succès. Aussi Frédéric avait-il disposé de distance en distance des postes de cavalerie et d’infanterie, dont des patrouilles se détachaient nuit et jour, avec ordre de l’avertir au moindre soupçon qu’on pourrait concevoir d’une tentative de l’ennemi pour passer d’une rive à l’autre.

Grâce à ces précautions, la situation put être maintenue pendant quelques jours, et plusieurs attaques, faites par les Autrichiens pour s’emparer des points où le fleuve pouvait être traversé, furent repoussées avec perte, quoique l’une entre autres, dirigée contre la ville de Kolin, eût été si bien conduite et si près de réussir que le roi lui-même faillit y être fait prisonnier. A la fin, cependant, la vigilance des sentinelles fut trompée, et, dans la nuit du 18 au 19 novembre, les Autrichiens réussirent à jeter des ponts entre Kolin et Pardubitz, et quand un bataillon prussien accourut pour s’y opposer, il était trop tard, les grenadiers de Marie-Thérèse avaient pris terre sur la rive droite de l’Elbe, et, malgré une résistance énergique et meurtrière, qui se prolongea près de cinq heures, on ne réussit pas à les déloger.

Dès lors, tout était dit. — « Le temps employé, dit Frédéric, à se plaindre du destin, eût été perdu. » Il fallait plier bagage au plus vite et se retirer en diligence vers la Silésie, en avertissant le commandant de la garnison de Prague, le général Einsiedeln, qu’on l’abandonnait et qu’il eût, absolument comme Belle-Isle deux ans auparavant, à se tirer d’affaire comme il pourrait. L’armée royale opéra