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dans aucun genre qui n’en ait été frappé. On en a parlé presque publiquement partout à Paris, et à Versailles, où ordinairement on parle peu, on n’a pas été absolument exempt de quelques discours sur cette matière. Cependant, comme de pareils propos ne sont utiles qu’à déplaire, et d’ailleurs ne peuvent servir de rien, les plus sages ont gardé le silence[1]. »

Ces sages n’étaient pas nombreux, et, durant toute une semaine, il ne fut question à Versailles, à Paris et presque dans toute la France, que des progrès et des incidens de la maladie. Que disaient les médecins ? que pensait le roi ? La reine avait-elle vraiment daigné faire prendre des nouvelles ? Quelles paroles prononçait la mourante dans ses momens de délire ? Lui avait-on porte les sacremens, et quel prêtre s’était chargé de la réconcilier avec Dieu ? Sa sœur, Mme de Flavacour, la seule respectée de la famille, était auprès d’elle ; mais son ancienne rivale et sa victime, Mme de Mailly, sortant de sa retraite pénitente, assiégeait sa porte, demandant à venir prier auprès de son lit : l’accueillerait-on ? Les passans ne s’abordaient même dans les rues que pour s’adresser l’un à l’autre ces questions ; quelques-uns même murmuraient que ce mal était étrange et venu singulièrement à propos, et que les temps n’étaient pas si éloignés où le poison venait aisément en aide aux ressentimens des fanatiques ou aux mécontentemens des ambitieux. Enfin, le 8 décembre, la mort vint faire taire tous les discours, et, deux jours après, les restes d’une beauté coupable étaient portés à l’église, puis jetés en terre, sans pompe, au petit jour, par une matinée d’hiver, pour éviter les rassemblemens et les insultes de la populace[2].

Les regards curieux se portèrent alors sur le roi, dont l’abattement et la douleur étaient extrêmes. Dès que le danger fut sans remède et la fin imminente, il avait quitté Versailles pour chercher son trouble dans le pavillon de La Muette ; il y resta plus de jours, mangeant peu, parlant à peine, ne s’ouvrant à personne, il n’en revint que la veille de Noël, pour assister à la messe de minuit. Richelieu était arrivé de Bordeaux ce jour-là même ; le roi le fit venir et s’enferma avec lui : la porte était si bien close que, quand la reine fit demander à quelle heure serait le service du lendemain, on lui fit savoir qu’il était impossible de pénétrer. L’entretien, nous dit le duc, dura jusqu’à une heure du matin ; le roi se fit donner lecture de toutes les lettres de la défunte, pleurant à

  1. Mémoires de Luynes, t. VI, p. 168.
  2. Mémoires de Luynes, t. VI, p. 175 et suiv. — Journal de Barbier, novembre et décembre 1744.