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voyaient de près n’espéraient plus qu’il pût sérieusement persévérer dans l’entreprise de gouverner par lui-même. Il était clair que, de guerre lasse, sans le dire, sans peut-être se l’avouer à lui-même, il ne tarderait pas à retomber sous le despotisme effectif, sinon nominal, de quelque influence toute-puissante. Dès lors, tous les esprits étaient en campagne : et ceux qui se croyaient en passe d’arriver pour faire pencher la balance de leur côté, et les spectateurs avisés pour deviner où se porterait la faveur royale et se placer à temps sur son passage. C’était un feu croisé d’intrigues, et à Paris, où les ministres, sauf le maréchal de Noailles, étaient retournés attendre la fin du siège, et parmi les hauts personnages militaires qui se pressaient dans l’entourage du roi, une lutte sourde avait recommencé entre les partisans d’une action restreinte, bornée aux frontières de France, et ceux qui, plaçant leur confiance dans Frédéric, consentaient à aller même au fond de l’Allemagne se prêter à ses exigences. C’était si bien là le point en litige que l’envoyé prussien, Schmettau, se mit en devoir, pour veiller de plus près à le faire résoudre dans le sens que désirait son maître, de suivre le roi devant Fribourg, où même, un instant, l’ambassadeur ordinaire, Chambrier, vint le rejoindre.

De là, Schmettau assiégeait Louis XV de notes pressantes, de plans de campagne indiquant tous les mouvemens que l’armée devait faire, discutant le mérite des généraux, le tout pour conclure toujours en faveur de Belle-Isle, objet connu des prédilections prussiennes. L’insistance devint même tellement indiscrète que Louis XV s’impatienta, et, dans une lettre à Frédéric, le pria d’inviter son agent à ne pas faire « de liaisons particulières à sa cour. » — « Ce n’est pas, disait-il, le moyen de me plaire, » et Frédéric dut promettre d’y mettre ordre. Malheureusement, l’avertissement arriva trop tard, car Schmettau avait déjà envoyé une copie mal chiffrée de ces notes compromettantes par un courrier qui eut la maladresse de se laisser tomber entre les mains des Autrichiens. Marie-Thérèse eut ainsi de première main connaissance de tout le détail intime et des démêlés ministériels de la cour de France, et l’on peut juger le plaisir qu’elle y prit et le bruit qu’elle ne manqua pas d’en faire. Le spectacle d’une si tendre confiance établie entre un souverain allemand et un étranger était précisément ce qu’il lui fallait pour raviver les susceptibilités très en éveil du patriotisme germanique, d’autant plus que, dans une de ces pièces, Schmettau, pour faire mieux agréer ses conseils, promettait à Louis XV qu’avec la ligne de conduite qu’il lui indiquait, on forcerait bien tous les états de l’empire, même ceux qui gardaient encore une attitude de neutralité, à se prononcer en sa faveur, et qu’ainsi le roi de France et sa dynastie seraient toujours les maîtres de l’Allemagne et les arbitres