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de Hongrie, du prince Charles, et personne ne fut épargné. Il eut la satisfaction de ne dire du bien de qui que ce soit, de désapprouver tout le monde et de s’applaudir à soi-même. Il parut fort content de lui ; je le fus très peu. Le dîner étant heureusement fini, il monta à cheval, et je me retirai à mon village. Avant que de sortir du camp, le prince Charles, margrave de Brandebourg, son cousin, me dit : « Monsieur Du Mesnil, le roi aime à plaisanter ; mais soyez sûr qu’il aime le roi, votre maître, et les Français, dont je suis bien aise. Vous vous êtes bien conduit ; continuez à garder le silence, et ne faites usage de ce que vous entendez que de ce qui pourra être utile pour le bien de la cause commune… Il faut le laisser dire, et vous faites bien de ne point entrer en discussion avec lui devant le monde. » Je lui répondis que je m’en garderais bien, et que l’on regarderait en France un homme comme un fou, si, assistant à un sermon, il voulait prendre parti contre le prédicateur, même quand il dirait des choses contraires à la religion. Ainsi, comptez, Monseigneur, sur ma sagesse. Le prince sourit, et je me retirai. »

Du Mesnil tient parole, quoique mis encore plusieurs fois à forte épreuve, et trouvant à propos des reparties qui, sous une apparence inoffensive, avaient pourtant une pointe assez piquante. « A propos de la bataille de Dettingue, dont il parla assez bien, il badina d’un ton ironique sur les Français, en les taxant de ne point aimer à livrer des batailles. Je ne crus pas devoir laisser sans réponse une attaque aussi vive. Je lui dis : « Sire, nous n’avons pas perdu l’usage d’en gagner ; ce qui s’est passé en Flandre, en Piémont et récemment en Alsace en sont des preuves ; et, à présent que nous sommes vos alliés, les bons exemples que nous donnera Votre Majesté augmenteront notre émulation. » Cette réponse resta sans réplique et produisit pour un moment un silence absolu. Peu après, il revint à des réflexions personnelles qui m’obligèrent à me renfermer dans le plus grand sérieux et dans le plus grand silence ; mais, comme le prince m’interpellait souvent en me disant : « N’entendez-vous pas, monsieur ? » Je lui dis : « Sire, il m’est ordonné par mes instructions de n’entendre que les choses auxquelles je dois et je puis répondre… » Le roi n’oublia pas non plus de me parler des batailles qu’il avait gagnées, et surtout de celle de Molwitz, dont il fit le détail. Je pris la liberté de lui dire qu’elle m’avait été racontée précisément de la même manière par une personne qui avait été bien à portée de le savoir. « Par qui, me demanda-t-il ? » Je lui répondis que c’était par M. de Neuperg (le général autrichien), et qu’il m’avait dit qu’il n’oublierait jamais la belle manœuvre que M. le maréchal de Schwerin fit faire à son infanterie. Je m’aperçus que le roi de Prusse rougit et que ma réponse, plus