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faire voir que le fleuve et tout ce qu’il roulait dans ses ondes était également soumis à son empire[1].

Le 20, à son arrivée devant Fribourg, où l’armée l’attendait avec impatience, il reçut un témoignage, qui ne dut pas lui être moins sensible, du prestige qui l’entourait : ce n’était pas moins qu’un messager venu de Paris pour lui remettre une épître en vers de Voltaire lui-même. Le poète poussait l’audace jusqu’à reprocher en face au roi l’imprudence qu’il commettait de se laisser emporter par son courage et de compromettre une vie si précieuse au salut de l’état. Boileau, le flatteur de Louis, dont Voltaire a parfois souri, plaignait son roi d’être enchaîné par sa grandeur ; c’est un lien dont Voltaire osait accuser le sien de s’affranchir. Du reste, c’était même exaltation, même attendrissement dans les louanges :


Vous dont l’Europe entière aime et craint la justice,
Brave et doux à la fois, prudent sans artifice,
Roi nécessaire au monde, où portez-vous vos pas ?
Vous volez à Fribourg ; en vain La Peyronie
Vous disait : Arrêtez, ménagez votre vie,
Il vous faut du régime et non des soins guerriers ;
Un héros peut dormir, couronné de lauriers.
Le zèle a beau parler, vous n’avez pu le croire :
Rebelle aux médecins et fidèle à la gloire,
Vous bravez l’ennemi, les assauts, les saisons,
Le poids de la fatigue et le feu des canons ;
Vos ennemis, grand roi, le craignent davantage.
Ah ! n’effrayez que Vienne et rassurez Paris !
Rendez, rendez la joie à vos peuples chéris !
Rendez-nous au héros qu’on admire et qu’on aime !


Peu de jours cependant suffirent pour faire voir qu’aucun exploit digne de mémoire ne devait venir cette fois justifier ce panégyrique. Le siège commencé depuis plusieurs semaines était mal engagé, mollement poussé et n’avança qu’avec peine. Le roi, j’ai déjà eu occasion de le dire, avait tenu à commander seul, tout en autorisant à le suivre tous ceux qui s’étaient flattés de le remplacer. Aussi avait-il autour de lui, outre le vieux Coigny, qui avait ouvert les opérations, Belle-Isle, Noailles et Maillebois, tous accourus pour faire preuve de zèle, en tout quatre maréchaux de France, formant un conseil de guerre où l’on s’entendait assez mal. La place, sans être très forte, était difficile à investir. Son immense pourtour était protégé sur le côté le plus étendu par une rivière que les pluies d’automne rendaient torrentielle. Avant d’ouvrir la tranchée, il fallut

  1. Lettre du magistrat de Strasbourg, 3 octobre 1744. (Ministère de la guerre. — Correspondances diverses.) — Souvenirs du marquis de Valfons, publiés par son petit neveu, p. 114.