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été fort bien exécuté. Mais la scène de la consécration a été conduite en poste, jouée trop vite et trop fort. Plus de douceur, plus de lenteur, sont nécessaires à cette admirable mélopée de la grande prêtresse, comme aux chants orientaux dont elle est inspiré?. Je la voudrais lointaine, se traînant sous les colonnades énormes ; je voudrais aussi des réponses de chœur murmurées avec mystère. A la fin de ce tableau du temple, quand les hymnes de guerre se mêlent aux cantiques, trop de hâte amène la confusion. Cette précipitation gâterait la plus belle musique : elle fait ressortir la charpente des morceaux, elle en accuse durement l’ossature. Prise aussi vite, la fameuse fanfare des trompettes devient vulgaire; le délicieux petit chœur des bords du Nil est escamoté, le premier allegro du duo entre Aïda et son père n’est plus qu’un grondement confus, et le duo final, ivresse outre mesure par la reprise de la prière, perd de son admirable sérénité.

Ce sont là, dit-on, les mouvemens voulus par Verdi. Peut-être comme ceux de Faust sont voulus par Gounod ! Des deux maîtres, l’un est bien éloigné de l’Opéra, l’autre y est bien rare, et malgré la bonne volonté, la bonne foi du chef d’orchestre, ses propres souvenirs peuvent le tromper; il faut si peu de temps pour que les traditions s’altèrent, pour que l’attention se relâche. Est-ce encore d’après les indications de Verdi que les chœurs chantent sans accent, que les basses, par exemple, abordent ainsi (je n’ose dire : attaquent) le motif fugué des prêtres au second acte? Nous ne le pensons pas.

Elle ne veut pas d’une exécution molle, cette vigoureuse Aïda. Semée de détails délicats et minutieux, elle ne veut pas non plus d’une exécution sommaire. Il y a longtemps que nous ne l’avions entendue, l’éclatante partition; elle n’a point pâli. Sans être à la hauteur d’Otello, Aïda est cependant très haut. Otello est encore plus simple, plus débarrassé de toute parcelle impure, mais les taches d’Aïda sont bien légères: grains dépoussière dans un rayon de soleil. Aïda, comme Otello, comme le Requiem, une œuvre de mort pourtant, déborde de vie et de lumière; dès le début, on est en pleine clarté.

Le prélude, qu’on ne vient pas entendre à l’Opéra, est adorable. Le Verdi d’autrefois, fougueux, un peu brutal même, n’avait pas de ces finesses; il ne confiait pas à des violens ainsi divisés un travail symphonique aussi ténu, l’expression aussi délicate d’un amour malheureux. Cette musique prend toutes les libertés; elle n’est l’esclave d’aucun système. Aux anathèmes contre la romance, elle répond par une romance délicieuse : O céleste Aïda! Sur les ennemis de la mélodie, elle verse la mélodie à flots, pareille au sage devant qui l’on niait le mouvement, et qui marchait.

Nous reprochions au trio final de Proserpine l’uniformité des trois parties chantantes; le premier trio d’Aïda ne mérite pas le même reproche.